L’Orchestre symphonique de Montréal termine l’année 2023, en présentant l’oratorio L’enfance du Christ, du compositeur français Hector Berlioz, le 19 décembre, à la Maison symphonique. Cette oeuvre pour solistes, chœur et orchestre sera dirigée par Hervé Niquet, spécialiste du répertoire français qui a participé à quelque 170 enregistrements au cours de sa carrière, en plus de contribuer à faire redécouvrir des partitions délaissées. Admirateur de longue date de l’OSM, le musicien est enthousiaste à l’idée de travailler avec le Chœur de l’OSM, à cause de «la couleur du français du Québec». Entrevue avec un maestro passionné et globe-trotteur.
Hervé Niquet et le Québec
Claveciniste, organiste, pianiste, chanteur, compositeur, chef de chœur et chef d’orchestre, Hervé Niquet est reconnu, notamment, pour ses interprétations de la musique baroque, surtout française. Il est le fondateur du Concert Spirituel, un ensemble créé en 1987, dans le but de faire revivre le grand motet français.
Fasciné par un vaste répertoire souvent tombé dans l’oubli, le musicien a participé à la création, en 2009, du Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française, avec lequel il a mené de nombreux projets d’envergure. Par exemple, cette collaboration a permis la mise en place d’une collection discographique autour des musiques du Prix de Rome, avec l’enregistrement d’œuvres souvent inédites ou méconnues.
Désireux de faire découvrir la musique baroque française outre-mer, Niquet a même fondé, à Montréal, en 2002, un orchestre d’une quarantaine de musiciens, nommé Nouvele Sinfonie qui a donné quelques concerts remarqués. Entre autres, je n’ai pas oublié leur interprétation décapante de Don Quichotte chez la Duchesse, opéra baroque comique de Boismortier, qui avait soulevé une ovation à la Salle Pierre-Mercure, en novembre 2004.
Après avoir dirigé l’Orchestre symphonique de Montréal dans le Requiem de Mozart, en 2019, le chef français est de retour à la Maison symphonique, avec enthousiasme! «L’OSM est l’un des meilleurs orchestres au monde. D’ailleurs, dès mon jeune âge, j’ai été fasciné par leurs disques sous la direction de Charles Dutoit. Ce sont des musiciens rapides et curieux. Leur imposant bagage en musique française est un précieux atout pour jouer une oeuvre de Berlioz!»
Plus encore, le musicien s’emballe en anticipant le plaisir d’entendre L’enfance du Christ interprétée par un choeur à l’accent québécois. «S’il y a un pays où la diction du XIXe siècle, la prononciation des voyelles est respectée, c’est bien au Canada. En France, la télévision a tout homogénéisé. On a perdu les accents régionaux qui indiquaient d’où vous venez. Mais, Berlioz (1803-1869) avait un fort accent; il venait de la montagne. C’est quelqu’un qui avait une personnalité sonore.»
Le chef d’orchestre qui va passer huit jours chez nous, le temps d’y retrouver ses nombreux amis, renchérit: «Je suis amoureux du français québécois, du son de cette langue, à cause de la musique qu’elle procure.»
Un conte de Noël
Pour ce qui est de l’oeuvre au programme, le chef d’orchestre souligne que L’enfance du Christ est une partition plutôt sobre, écrite entre 1850 et 1854, par un compositeur qui, auparavant, s’était fait reprocher ses orchestrations démesurées.
Créée en 1854, à Paris, sous la direction du compositeur, on dit que cette trilogie sacrée a connu un succès immédiat, non seulement par ses contours opératiques et son pastiche de musique médiévale, mais aussi par son appartenance assumée à une longue tradition de chants de Noël.
«Pour ma part, je veux présenter cette pièce comme «un conte de Noël… sans grandiloquence», insiste Hervé Niquet, tout en rappelant que Berlioz attachait de l’importance à la spatialisation sonore de son oeuvre, alors que les choristes hommes et femmes doivent se trouver à des endroits bien précis sur scène. En tout, plus d’une centaine de musiciens et choristes seront réunis pour ce concert qui ne sera offert qu’une seule fois.
L’argument de «L’enfance du Christ»
D’entrée de jeu, le roi Hérode est sujet à une vision nocturne récurrente, selon laquelle un enfant qui vient de naître fera disparaître son trône et son pouvoir. Pour se prémunir des maux redoutés, il décide de la mise à mort de tous les enfants mâles de moins de deux ans. Après un silence de quelques mesures, on passe à la «Scène de la Crèche» où la Vierge Marie prend soin de l’Enfant Jésus. Mais, les anges l’informent qu’un danger la menace et qu’elle doit quitter la Judée.
À la deuxième partie, les bergers disent adieu à la Sainte Famille dont la fuite commence.
À la troisième partie, les fugitifs, éconduits par les Romains puis par les Égyptiens, sont finalement accueillis par un père de famille ismaélite. Les enfants de ce dernier vont divertir leurs hôtes en exécutant un trio pour deux flûtes et harpe. Le récitant, accompagné par un chœur a cappella, conclut l’œuvre après avoir annoncé le sacrifice de Jésus une fois devenu adulte.
Sur trois continents
Joint à Paris, au surlendemain d’une série de concerts à l’Opéra National du Capitole de Toulouse, Hervé Niquet traversera l’Atlantique deux fois d’ici la fin de 2023, puisqu’après être venu à Montréal, il retournera à Toulouse pour une série de Concerts du Nouvel An, du 29 au 31 décembre. Dès le 9 janvier 2024, il dirigera Iphigénie en Tauride de Desmaret et Campra au Théâtre des Champs-Elysées. Parmi ses nombreuses autres présences sur scène, en 2024, il mentionne Le Tribut de Zamora de Charles Gounod, à l’Opéra de Saint-Étienne, au printemps prochain.
Entre temps, le sexagénaire s’accordera quelques semaines de vacances en Afrique de l’Ouest. Il faut dire que sa résidence principale est maintenant en Afrique du Nord, plus précisément à Marrakech où il a aussi des projets artistiques. «J’ai découvert le Maroc, il y a une vingtaine d’années. Les Berbères sont accueillants et généreux. Le Français apprécie sa terre d’accueil, notamment, à cause de «la sincérité des gens», en plus des conditions météo et aussi «parce qu’on y mange bien!».
De plus, le musicien travaille à la création d’un festival d’opéra à Marrakech, avec la collaboration, entre autres, du Québécois Renaud Doucet, directeur artistique du Festival de Lanaudière. Évidemment, il s’agit d’un projet de longue haleine sur un chemin parsemé d’embûches. «Il faut bien reconnaître que beaucoup de budgets ont disparu depuis la pandémie de Covid-19. De toute façon, la culture n’est qu’une variable d’ajustement pour nos dirigeants. Certains politiciens nous traitent de privilégiés mais savent-ils à quel taux horaire travaillent les musiciens, au bout du compte ?»
Optimiste
Même s’il ne sait pas encore quand ce festival marocain verra le jour, Niquet demeure optimiste. «Je veux continuer à faire de la musique coûte que coûte! C’est notre dernier rempart contre la barbarie. Partout, l’inculture nous envahit et elle entraîne de plus en plus de problèmes. Alors, si on peut toucher quelqu’un avec de la beauté, ça va peut-être contribuer à éviter qu’on fasse des conneries.»
Comment voit-il l’avenir des disques de musique classique, en ces temps de dématérialisation ? «Je se saurais dire si les plateformes de distribution numérique nous aident ou non. Par contre, imaginez qu’on arrête tous d’enregistrer ! Ce serait une catastrophe», estime le musicien, convaincu qu’il faut continuer d’enrichir la mémoire collective, notamment, avec de nouveaux enregistrements reflétant différentes visions artistiques. «Moi, j’enregistre à tour de bras!»
Ce qui le réjouit, également, c’est que le public soit toujours «assoiffé» de musique ! «Je voyage beaucoup et je me produis dans des salles généralement pleines ! On me parle souvent du vieillissement du public mais, il y a toujours eu des têtes blanches au concert ! Ce qui est réjouissant, c’est de voir des gens qui achètent des billets pour ouvrir leurs oreilles et leur coeur et être heureux !»
L’enfance du Christ de Berlioz
Orchestre symphonique de Montréal
Hervé Niquet, chef d’orchestre
Cyrille Dubois, ténor (Récitant)
Julie Boulianne, mezzo-soprano (Sainte Marie)
Gordon Bintner, baryton (Saint Joseph)
Robert Gleadow, baryton-basse (Hérode)
Tomislav Lavoie, basse (Un père de famille)
Geoffroy Salvas, baryton
Joé Lampron-Dandonneau, ténor
Chœur de l’OSM
Andrew Megill, chef de chœur
À la Maison symphonique, le 19 décembre 2023 à 19h. 30 / Billets
Entretien pré-concert à 18h30 (durée de 30 minutes); tous les détenteurs de billets sont les bienvenus.