Il n’est guère étonnant que le concert des Violons du Roy en son orchestre entouré de ce rutilant chœur de chambre de la Chapelle de Québec ait affiché complet à la Maison Symphonique en cette soixante-dixième occasion pour Bernard Labadie de diriger l’archi-célèbre Messie de Georg Friedrich Hændel (1685-1759)!
La distribution était un événement en soi et des arias remarquablement interprétés en témoignaient à profusion. Alors que le Chœur de la Chapelle de Québec remplit chaque fois de belles voix jeunes, justes – et mûres aussi – l’enceinte acoustique, on constatait immédiatement que le public accouru était majoritairement francophone.
Un public manifestement croyant aussi et âgé au moins de la vigoureuse cinquantaine puisque la jeunesse d’aujourd’hui n’a désormais aucune prise voire même aucun contact avec les textes de l’Ancien Testament (le prophète Isaïe, Corinthiens, Apocalypse, Romains et les Psaumes) constitutifs au livret collationné par Charles Jennens, un contemporain de Hændel.
Direction par cœur
À l’entrée des quatre solistes conviés, le directeur musical et chef fondateur des Violons du Roy, Bernard Labadie, apparaîtra très bientôt confortablement assis sur ce banc de piano coussiné et sans partition, bien entendu, après septante fois de ce trajet, il démontrera une connaissance parfaite du territoire vocal et instrumental à parcourir. Aisance certes, apparente désinvolture, mais surtout finesse d’humble musicien recueilli.
Nativité, Passion, Rédemption
Le programme de la soirée est riche d’informations et les entractes surviennent précisément aux trois divisions de l’oratorio soit la Nativité du Christ qui en dix-huit épisodiques moments musicaux nous offre déjà la possibilité de constater le niveau vocal extrêmement relevé des solistes invités: le premier à s’illustrer est le ténor Andrew Haji que nous avons entendu et encensé plusieurs fois cet automne en notre Valhalla montréalais.
Une basse splendide
En est aussi de notre agréable étonnement, une jeune basse prometteuse du nom de William Thomas… Une riche texture pétrie de puissance et de cette justesse tonitruante d’annonciation (et d’énonciation!) qui rappelle en sûreté d’élocution l’assurance du raréfié baryton Philippe Sly qui chantera de grands rôles d’opéras cet hiver et ce printemps à Vienne.
Un contre-ténor magistral
Remarquablement à part – et plus spectaculaire encore – donc à un niveau d’étoile illustre du plus haut firmament vocal, y figurera toute la soirée le chanteur Iestyn Davies. Je n’ai tout simplement jamais rien entendu de tel: dès l’air intitulé But who may abide (Qui pourra se tenir droit) et surtout le premier immensément grand moment fort impressionnant survenant à l’amorce de la section Passion soit l’air He was despised (Il fut méprisé). La talentueuse et jeune soprano Liv Redpath, face à un tel carrefour de voix concurrentes, devra attendre la section Rédemption pour s’illustrer de stature à son tour.
Le chœur et l’intertextualité
Beaucoup de mélomanes fervents du vaste répertoire des grandes œuvres chorales ont été choyés toute la soirée des rendements du Chœur de La Chapelle: et, reconnaissant peut-être le clin d’œil qu’y fit Mozart ultérieurement dans sa messe des morts, ils auront souri intérieurement au vingt-deuxième moment des quarante-huit (arias ornementés de récitatifs et de seccos tout autant que de « chorus » constitutifs à l’oeuvre) et peut-être perçu, en quelques brèves mesures d’intertextualité, ce clin d’œil sous le titre And with His stripes (par ses blessures).
Le chœur se surpassa au Lift up your heads (Portes solennelles d’éternité, élevez vos têtes, no.30) et la merveilleuse basse Thomas qui n’a pas même encore atteint l’âge de sa maturité vocale nous offrit l’émouvant air intitulé Why do the Nations, 36a (Pourquoi les Nations fulminent). Dans huit à dix ans, ce sera un régal d’Empereur que de l’écouter là-dedans!
Rédemption et Résurrection
Le chœur de La Chapelle en rajoutera enfin de splendeurs jusqu’au Since by man came death no.41 (La mort survenue par un homme) et les solistes surgiront une dernière fois en solo y compris un très beau If God be for us (Si Dieu est pour nous) no. 46a sous la diction de Liv Redpath.
Mais je remarquerai par-dessus tout, c’est tout simplement trop éblouissant, encore la percutante basse William Thomas et plus encore après un duo ténor-contreténor surtout cette voix de contre-ténor de Iestyn Davies à jamais gravée dans ma mémoire.
Inoubliable représentation de ce tragique oratorio radieux de fulminantes voix bien choisies et dirigées.
Programme, le 12 décembre 2024, Maison Symphonique.
Les Violons du Roy
Chef : Bernard Labadie
Artistes : Liv Redpath (soprano), Iestyn Davies (contre-ténor), Andrew Haji (ténor), William Thomas (basse) | Avec le Chœur de chambre de La Chapelle de Québec.