Comme son nom l’indique, on pourrait croire que l’Eros journal du chorégraphe David Pressault est un spectacle intimiste, sensuel, un parfait exutoire à nos pensées les plus inavouables. Si la sensualité et sa cousine la sexualité sont pleinement assumées, le côté intimiste de ce journal se perd souvent entre une bande son décalée et des longueurs de style injustifiées.
Eros journal se veut un hommage au Dieu grec de l’amour et de la force créatrice. Le respect et la fascination qu’entretient David Pressault à son égard est on ne peut plus palpable. Ceci dit, la forme utilisée par le chorégraphe pour construire le dit-hommage, est discutable : un défilé mettant en scène six interprètes de différents styles, qui « mannequinisent » une succession de fantasmes allant du plus coquin au plus déluré, du plus cliché au plus inavoué, et ce jusqu’à la confrontation des corps, jusqu’à l’abandon ultime, jusqu’à… l’amour ? Ou un étrange sentiment qui pourrait lui ressembler.
Chaque entrée en scène des interprètes est différente, habitée et doucement folle, mais cela devient vite rébarbatif : nous assistons à un crescendo de plaisirs physiques, de plus en plus débridées. Or, nous voulons avancer plus vite. Il me semble que le point d’orgue du spectacle arrive au milieu sans que l’on ait eu la sensation d’avoir fait plus que constater l’existence de toutes ces tendances érotiques. Heureusement, d’autres interventions s’opèrent en diagonale du « stage » de défilé pour casser la monotonie de l’ensemble et sont en général de vraies réussites : le duo entre les danseurs masculins et le final sans musique retiennent particulièrement notre attention. Bilan rapide à mi-session : ce sont définitivement les passages plus « classiques » – entendez par là, plus « dansés » – qui parviennent à éveiller une émotion, quelle qu’elle soit.
Un autre détail chagrine aussi : s’il est intéressant de constater la gestuelle différente et unique à chaque danseur, force est de constater que tous ne sont pas habités de la même flamme, de la même folie intérieure et que de ce fait, certains paraissent fades en comparaison. Rien à voir avec l’engagement physique, je parle bien ici du charisme général qui avait pourtant tout le loisir de se dégager dans cette ode à l’amour physique et spirituel.
Et alors que nous aurions pu nous attendre à une finale en apothéose, aussi bien dans la douceur que dans la force, le spectacle se termine avec une étrange implication du public. Celui-ci est invité à partager le « spleen » ambiant en partageant le fruit défendu et en observant les interprètes qui semblent entamer une bien étrange communion… qui s’avère aussi intense que la gêne qui s’installe parmi les spectateurs, avec ce questionnement sur leur visage : « Et puis ? ».
Loin de moi l’idée de ne pas reconnaître la performance qui tient davantage de l’expression corporelle que de la danse : mais là où l’exercice aurait pu être intéressant, surtout en partant de la prémisse d’exprimer la sensualité jusqu’à la sexualité débridée sans une once de nudité, on se perd rapidement dans les artifices musicaux et les répétitions de styles, qui nous font oublier qu’au départ, il était question d’un Dieu et de ses symboles.
« Eros Journal » est présenté jusqu’au 4 novembre au Théâtre Prospero.
Chorégraphe DAVID PRESSAULT
Interprétation et collaborateurs à la création ANGIE CHENG, DANY DESJARDINS, KARINA IRAOLA, KIMBERLEY DE JONG, GABRIEL PAINCHAUD, DANIEL SOULIÈRES
Durée du spectacle : 1h10 environ, sans entracte