Dans la lignée de 1984, qui dénonçait le contrôle de la société par la surveillance extrême, Édith Patenaude présente Far Away, pièce en trois actes, qui suit l’évolution du personnage de Joan, confronté à un monde violent et fantastique. La forme est sublimée – sans conteste le point fort de la metteure en scène – mais qu’en est-il du fond ?
Il serait judicieux de préciser que l’exercice s’adresse à un public averti. En effet, Far Away se situe dans cette vague de créations remises au goût du jour avec moult effets scénographiques, qui renforcent le propos, le sublime ou insiste sur le malaise créé. Ses nombreuses astuces – des lumières foncées, de la musique, des décors très droits, froids – sont autant d’éléments que le spectateur peut chercher à interpréter, à relier entre eux, pour faire avancer l’histoire.
Pour pleinement apprécier ces trois actes, il faut réellement se concentrer sur le texte – par ailleurs porté de façon très juste par les trois comédiens – et ne pas perdre de vue que l’on suit l’histoire de Joan, cette petite fille qui devient une femme et qui se retrouve mise à l’épreuve, à chaque étape de sa vie.
Acte I – Joan est, témoin malgré elle, des brutalités de son oncle vis-à-vis d’un groupe de personnes emmenées de force dans la cabane familiale. Le rythme est très lent, mais impossible de s’en détacher car la tension monte au fur et à mesure des échanges entre Joan et sa tante ; dans son élégance malsaine, le texte ne dévoile rien de plus précis – surtout pas la fin – ce qui met intelligemment nos nerfs à l’épreuve.
Acte II – Joan, devenue adulte, est nouvellement employée dans une usine qui fabrique des chapeaux extraordinaires. Son collègue lui conjure de se méfier et de ne faire confiance à personne car ils sont surveillés… en tout temps… Les personnages, dans toute leur naïveté, s’inquiètent davantage de cette surveillance accrue, plutôt que de se révolter contre les procédures barbares qui consistent à éliminer les chapeaux et leurs porteurs une fois le défilé achevé. Il s’agit de l’acte le moins réussi : autant le premier à su utiliser ses longueurs, sa lenteur pour faire monter le suspense jusqu’à la frustration finale, autant le passage du défilé notamment, s’étire inutilement et son impact sur l’histoire n’est pas transcendant. On retiendra cependant l’élimination du chapeau et du porteur à la toute fin, qui offre une image lourde de sens.
Acte III – Le monde au sens large, est en guerre : humains, animaux, Asie, Europe… tout y passe. Joan, a bravé de nombreux dangers pour pouvoir rejoindre son époux, mais peut-elle encore lui faire confiance ? Quel camp a-t-il choisi ? Au cours d’un dialogue où fantastique et irrationnel s’entremêlent, on comprend les engagements de chacun, avec les sacrifices que cela entraînent. Joan, en vaillante héroïne post-moderne comprend que sa place est là, mais est consciente qu’elle ne sera jamais en paix, car « l’eau vous entoure les chevilles de toute manière ».
Le propos est louable : on suit l’évolution de Joan et la régression du monde dans lequel elle vit, toujours plus dur, plus violent et injuste. Seulement voilà, les actes se suivent et se ressemblent – pas dans l’histoire qu’ils racontent – mais dans l’ambiance, le rythme – encore celui-là ! Une certaine monotonie s’installe et de ce fait, nous voici davantage attirés par les éléments scéniques précédemment cités que par le texte ; l’attention décroît et on finit par chercher ces fameux liens perdus au fil du temps, entre les actes.
Le rythme est donc ici le vrai seul bémol : lorsque qu’il est inégalement maîtrisé, l’intérêt diminue. Cependant, les qualités d’Edith Patenaude sont à souligner. A voir donc, si vous voulez être un témoin privilégié du parcours d’une metteure en scène qui n’a certainement pas fini de faire parler d’elle.
Far Away est présenté jusqu’au 15 avril au Théâtre Prospero.
Mise en scène ÉDITH PATENAUDE
Distribution LUDGER BEAULIEU, LISE CASTONGUAY, NOÉMIE O’FARRELL
Durée du spectacle
1 h 15 sans entracte
Photo: Valérie Remise