Farruquito, considéré rien de moins que « le plus grand danseur de flamenco de ce siècle » par le New York Times, est de retour à Montréal cette fin de semaine pour présenter son dernier spectacle.
Le titre « Íntimo » (intime en français), laisse deviner que le spectacle se passera d’artifices et de superflu pour se concentrer sur l’essence du flamenco. Et effectivement, la pièce présente le flamenco dans sa forme la plus minimaliste.
Le rideau se lève, dévoilant dans un puits de lumière le guitariste. Précis, dynamique et habile, aucune formalité nécessaire pour que le public se laisse convaincre et séduire. Un premier chanteur apparaît et un frisson d’émotions accompagne sa première note, puissante, retentissante, envoutante. Un deuxième chanteur se laisse voir, et la vigueur de sa voix mènera certaines personnes dans le public à se redresser et se pencher vers l’avant, en direction de la scène. À l’appel de la voix répond le corps.
Puis, Farruquito apparaît et le sort est scellé : aucune marche arrière n’est possible. Le ton a été donné : le mot d’ordre est flamenco et flamenco seulement. À peine entré en scène, la présence de Farruquito laisse deviner que même derrière ses pas lents se cachent des élans de passion et de technique. Il ne faudra que quelques secondes pour que ses pas s’accélèrent et que la musique que ceux-ci composent fasse de même. Est-ce Farruquito qui répond au cajόn ou le cajόn qui répond à Farruquito et aux chanteurs? Peu importe au public. L’harmonieuse symbiose des instruments et des voix met en évidence le dernier (et certainement pas le moindre) élément de cette famille de sons et de mélodies : le danseur.
Il est inutile de passer par 4 chemins pour reconnaître ce qui est indisputable : Farruquito est à couper le souffle. Précision, technique, maîtrise, musicalité, élégance, touche personnelle : il est impossible de détourner le regard. Lorsque la musique s’achève après une accélération de la cadence, l’audience rugit d’applaudissements. « Olé! », « bravo! », « wow » se font entendre dans la salle comble du Théâtre Maisonneuve, alors que les quelques retardataires, jusque-là figé.e.s dans leur pas près des portes, se rendent à leurs sièges rapidement, pour ne rien manquer du spectacle. Quoique celui-ci n’eût fait que commencer, le public est connaisseur : il savoure chaque instant de ce chef d’œuvre et il ne se gênera pas pour montrer sa grande appréciation à chaque opportunité qu’il aura.
Les jeux de lumière, simples et dynamiques, revêtant tour à tour chaque artiste du feu des projecteurs, permettent d’apprécier la complémentarité sonique des différents éléments qui constituent le flamenco. Lorsque le puits de lumière dévoilera la bailaora, des murmures nerveux d’excitation se feront entendre. Élégante et puissante, sa technique, sa présence et sa musicalité sont impeccables. Lorsqu’elle fera son second solo, durant une micro seconde, alors que la musique s’arrête pour un instant et que son pied s’apprête à redescendre pour frapper le temps fort, le silence complet se fait entendre dans le théâtre. Amener plus de 1000 personnes à retenir leur souffle et à se laisser hypnotiser par ses claquements de main, sa gestuelle de bras et ses pas, tel est le pouvoir de la bailaora.
Dans ce format simple et intime, chaque pas, chaque mot et chaque note, vibrent dans le corps du public, démontrant que la musique et la danse, à leur état le plus pur, n’ont besoin que d’une chose pour exister : la passion. La passion pour l’autre qui fait écrire des chansons d’amour, la passion pour l’art qui rassemble un public cosmopolite, la passion de la musique qui donne vie au corps et aux objets. Farruquito le démontre lorsqu’assis à une simple table, il utilise ses mains au-dessus, et ses pieds en-dessous de celle-ci pour créer un rythme de flamenco qui sera repris en écho par les musiciens.
Saluons d’ailleurs l’immense talent des chanteurs et de la chanteuse dont la voix et les capacités d’interprétation auront certainement prouvé que les émotions peuvent être comprises indépendamment de la langue parlée.
La camaraderie entre musiciens, chanteurs et danseurs, est un délice à voir. Ce format minimaliste donne l’impression d’être dans un rassemblement informel, quelque part en Andalousie, alors que de talentueux voisins commencent à jouer de leurs instruments, qu’un autre tout autant doué se met à chanter et que des danseurs, électrisants, rentrent dans la ronde.
Ce même esprit caractérisera la fin du spectacle, quand Farruquito prendra la guitare et invitera les musiciens à danser tour à tour. Le flamenco est une culture et comme dans toute culture, ses membres savent naviguer fluidement entre ses différentes langues et codes, qu’il s’agisse de danse ou de musique. Le résultat est beau à voir. Tellement beau que pendant un instant il semble que les artistes sur scène sont prêts à rester un peu plus longtemps, pour savourer ce moment. L’audience, bien consciente de la futilité de rester assise face à un tel chef d’œuvre, est debout et applaudit sans fin. Elle en demande encore. Alors Farruquito en donne un peu plus.
Les musiciens dansent, les danseurs jouent. Farruquito invite ses 2 compagnes de scène à ses côtés pour une dernière chorégraphie puis, tous ensemble, tel un groupe d’amis passant un bon moment, ils sortent de scène en musique et en chant. Lorsqu’ils reviendront après que le rideau se sera baissé, Farruquito demandera un micro pour remercier l’audience en français, en anglais et en espagnol. Dans cette langue, il dira que le public a été « très bon » et qu’il a hâte de revenir à Montréal.
De toute évidence, sur scène comme dans l’audience, une connexion s’est créée, et, la passion, mot d’ordre de la soirée, a été transmise comme seuls de véritables maîtres et maîtresses de l’art peuvent le faire. Splendide.