L’iconique danseuse montréalaise Louise Lecavalier nous revient avec son solo Stations, créé en 2020, en pleine pandémie. Plus de 40 ans après son arrivée à la compagnie La La La Human Steps, l’artiste poursuit sa route en chorégraphiant elle-même ses spectacles qu’elle travaille sans relâche. Au moment de notre entretien à l’Usine C, où elle vient de répéter durant près de trois heures, la dame ne semble même pas fatiguée et elle se donne pleinement en entrevue, répondant avec humour et sans détour à mes questions.
Comment arrive-t-elle à maintenir la cadence de la «danse athlétique» à 65 ans? Reconnue internationalement, quels sont ses plus beaux souvenirs de sa longue carrière où elle a côtoyé, entre autres, David Bowie? Et, surtout, quels sont les rêves de cette éternelle passionnée?
La vérité du moment
Stations est un mot qui intriguait Louise, dès l’enfance. «Petite, j’associais cela aux stations de métro, mais aussi, à l’église, aux stations du Christ.»
Que ce soit dans la vie de tous les jours, ou dans les tournants dramatiques, cette fine observatrice du genre humain sait que «les gens sont extrêmement vivants, même dans les moments les plus tristes!» C’est pourquoi elle a envie de représenter l’intensité de la vie dans tous ses états, allant de la fougue à des moments calmes, voire méditatifs. Au fil des stations, avec sa gestuelle, elle explore quatre thèmes : fluidité, contrôle, méditation, obsession.
Après plus de 60 représentations, on s’en doute, Stations a évolué à travers certains détails, même si la musique est restée la même, incluant des pièces originales d’Antoine Berthiaume. La danseuse souligne, entre autres, que son spectacle dure maintenant 65 minutes, soit cinq minutes de plus qu’à l’origine. «J’ai réalisé que les moments d’arrêt entre les danses étaient très importants! Moi, sur scène, j’avais l’impression de faire des arrêts d’une vingtaine de secondes mais, en visionnant mes vidéos, j’ai réalisé que je ne m’arrêtais que 4 secondes. J’ai allongé ces pauses, mais la structure du spectacle n’a pas changé.»
La mémoire du corps
Stations comporte aussi un clin d’oeil aux années qu’elle a passé au sein de la compagnie d’Édouard Lock. «Je fais des faux sauts qui ont été un peu célèbres quand je travaillais chez La La La. En fait, je les évoque, en esquissant le mouvement de départ de ces sauts. Ce n’est pas que j’ai voulu faire une référence à cette époque; ça m’est venu naturellement», souligne-t-elle, en précisant que grâce à la mémoire du corps, ses gestes portent aujourd’hui les marques de tout son vécu.
«Ma vie est un peu cardio ! J’aime ça bouger!»
-Comment s’entraîne-t-elle pour maintenir le niveau de performance énergique de danse athlétique qui l’a rendue célèbre ?
«C’est vrai, tout ça demande beaucoup de souffle et une très bonne forme physique mais, ça, je l’ai naturellement! D’abord, je danse! Je travaille beaucoup en studio et comme je me produis sans partenaire, ça signifie que je suis continuellement dans l’action. Et puis, je fais aussi de la natation et du yoga et je me déplace souvent à bicyclette. En fait, je suis toujours en mouvement. En ce sens, ma vie est, à la base, un peu cardio ! Je suis légère et j’aime ça bouger!»
«La scène c’est le danger!»
Même après toutes ses années d’expérience, la danseuse tient à répéter sur la scène même où elle s’apprête à se produire. «Le plancher est différent de celui de mon studio. Aussi, quand on travaille dans des théâtres, c’est beaucoup de béton! La qualité de l’air n’est pas la même. Tout ça représente une certaine énergie qu’on absorbe et qui souvent nous fatigue en bout de ligne. Comparativement au studio, la scène, c’est beaucoup plus violent pour le corps.»
-Et quel est le rôle du public dans tout cela?
«Je sens l’attention et la présence des spectateurs et c’est tout ce qu’il me faut! Le spectacle, c’est comme un face-à-face avec les gens. Le danger, c’est d’essayer de refaire ce que j’ai fait la veille! Je crois plutôt qu’il faut arriver neutre en me disant: j’ai répété et maintenant je vais danser et être vivante avec les personnes qui sont dans la salle, sans essayer de reproduire une représentation d’un autre soir.»
«Alors qu’en studio, je suis dans ma bulle, je dirais que la scène c’est le danger!» Un danger auquel elle a pris goût, puisqu’elle n’a pratiquement jamais cessé de danser depuis l’âge de 18 ans. «Au début, je m’étais dit : la danse, je fais ça un an ou deux. Je n’avais pas pour objectif d’être une danseuse, même si j’aimais déjà profondément cet art! Cela dit, j’avais de bonnes notes à l’école; je pensais étudier en sciences.»
Souvenirs d’une soirée avec Bowie à Montréal
Très vite remarquée par Édouard Lock, le chorégraphe l’invite à danser dans Oranges, dès 1981. Puis, le tandem récidive avec Businessman in the Process of Becoming an Angel, présenté par La La La Human Steps, en 1983. «C’est là que j’ai compris ce que je faisais sur scène! Tout à coup, ça allait au-delà des pas! Avec Édouard, je découvrais que j’avais trouvé une grande liberté, grâce à tout le travail que j’avais fait en amont!»
Puis, parmi les moments mémorables entre tous, il y a eu cette soirée où Louise Lecavalier a dansé dans le spectacle de David Bowie à l’ancien Forum de Montréal, en 1990.
«Quand je suis entrée en scène, il y avait une de mes copines dans les gradins qui a crié tellement fort! C’est comme si j’étais devenue un frisson! Je ne portais plus au sol! Mon partenaire de danse m’a dit : je te soulevais mais, tu n’étais plus dans mes mains! J’étais comme en apesanteur, tellement la foule vibrait! C’était un moment exceptionnel ! Être chez nous à Montréal dans le spectacle de David Bowie, c’est une sensation que je n’ai jamais eu autrement! Un moment délirant!»
Un nouveau spectacle en préparation
-Que peut-on souhaiter à Louise Lecavalier après plus de quatre décennies d’intensité ?
«Une nouvelle pièce! D’ailleurs, je peux vous dire que mon prochain spectacle sera lancé en Allemagne, en décembre 2024. J’ai un bon titre mais, je ne le dévoile pas tout de suite. J’ai déjà une trentaine de minutes de nouvelles chorégraphies. Tout peut encore changer mais, à ce stade-ci, je veux créer un spectacle qui me permettra d’être plus près du public. C’est beau les grands théâtres, mais je cherche une autre magie plus axée sur la proximité avec les gens. J’ai fait récemment des projets où les spectateurs étaient autour de la scène et j’ai été emballée! J’ai envie de voir le public tout près de moi pendant que je danse. Je cherche la magie pure de la rencontre avec les gens!»
Une exposition de photos de Louise Lecavalier
Le retour de Louise Lecavalier à l’Usine C est accompagné d’une exposition de photos de la danseuse, prises au fil des ans, par André Cornellier, dont le travail photographique a été salué, à New-York, Toronto, Londres, Paris, Montréal et Genève. Du 27 octobre au 30 novembre, on pourra donc admirer, sur les murs de l’Usine C, huit portraits en noir et blanc et en très grand format de madame Lecavalier.
«J’aime le travail d’André! C’est vraiment un artiste! Même si ses photos sont stylisées, il a une simplicité qui fait que je me reconnais toujours. Je ne me sens pas déguisée! La force d’André, c’est qu’il ne va pas dans l’artificiel.»
Stations
Louise Lecavalier : chorégraphe et interprète
Conception lumières Alain Lortie
Musiques : Colin Stetson, Suuns and Jerusalem in My Heart, Teho Teardo et Blixa Bargeld
Musique originale et arrangements Antoine Berthiaume
À l’Usine C
27 octobre 2023 – 19 h
28 octobre 2023 – 19 h
1er novembre 2023 – 19 h
Stations sera aussi présenté au Grand Théâtre de Québec, le 7 novembre / Détails
*Photo d’accueil: André Cornellier