À l’âge de 35 ans, Martin Helmchen vainqueur du Concours international de piano
Clara Haskil (édition 2001) atteint les plus hauts sommets de l’art pianistique
dans un exigeant programme Schumann et Beethoven à la salle Pollack de l’Université
McGill.
Ce fut, en effet, le récital de toutes les perfections, car Martin Helmchen
appartient à la famille des très grands interprètes, Chantre du clavier à
l’abondante chevelure bouclée et au visage apparenté aux traits d‘Orphée qu’ont
esquissés les plus grands peintres de la Renaissance italienne (tel Andrea del Sarto
qu’on admire encore de nos jours à la Galerie des Offices de Florence ou voyez
Portrait de jeune homme- 1517 à la National Gallery de Londres), Martin Helmchen est
une créature expressive ne faisant qu’un avec son instrument. Son corps gracile,
agile à se déplacer en bonds félins des aigus aux graves avec le naturel des
magiciens des sphères célestes, étonne par la précision de sa poigne et de son art
de donner forme à la matière sonore. S’il surprend par ses mouvements gracieux et
légers, les passages de grande virtuosité et de haute difficulté technique nous
révèlent la force herculéenne de ses doigts d’une dextérité et d’une indépendance
phénoménales. Les phrasés de Helmchen saisissent l’auditeur par la richesse de son
immense palette sonore. Outre la finesse subtile de la synchronisation parfaite de
ses doigts, de ses mains, de ses bras enfin de tout son corps penché avec une
concentration vertigineuse sur son instrument, c’est la clarté de l’élocution et de
la diction qui nous magnétisent.
Le programme comprenait, tout d’abord, dans leurs huit vastes constructions de forme
binaire les mouvements des Noveletten opus 21 (1838) de Robert Schumann qui font 72
pages de musique (mais bien plus de 90 si on factorise toutes les reprises indiquées
à la partition par le compositeur romantique allemand). Helmchen les exécute toutes
à son interprétation. L’oeuvre de hargne et d’enthousiasme fut écrite de verve pour
Clara Wieck sa future femme et elle comporte des évocations de dialogues tonitruants
et d’objections paternelles ( au mariage projeté des jeunes amants que le père de
Clara Wieck refusait d’autoriser…les jeunes ont dû s’adresser aux tribunaux!).
Martin Helmchen insuffle beaucoup de personnalité à l’oeuvre, d’un tableau à
l’autre, dans les pages fougueuses tant que dans celles du plus pur cantabile: il
s’inscrit avec une grande originalité d’interprétation au plus haut niveau parmi les
versions vinyles connues et célébrées issues de la grande Alicia de Larrocha et du
légendaire Svjatoslav Richter.
Si la première partie du programme était dévolue à Schumann, la seconde fut
entièrement vouée à l’opus 120, soit les 33 Variations sur un thème de Anton
Diabelli. C’est ici que Helmchen atteint au plus impressionnant rendement
pianistique. L’Andante de la vingtième variation, la vingt-quatrième- aussi un
Andante et une fugue- enfin c’est le paroxysme avec les 5 dernières variations de
loin les plus sublimes parmi les 11 dernières (les plus tardives) qu’a remaniées
longuement Beethoven. Ce récital nous ont montré un homme mûr d’allure jeune encore
mais atteignant la verve d’ Alfred Brendel et la rigueur élégante d’un Maurizio
Pollini.
Ce fut donc un programme audacieux, difficile d’accès car il exige une écoute fine
et recueillie près de deux heures durant avec deux grandes oeuvres complexes dont
certains les mettent à l’égal des Variations Goldberg de Bach. Le public sait-il
encore écouter avec recueillement et patience un tel programme titanesque? Revenu
trois fois sur scène pour faire écho aux applaudissements de la foule émue, Martin
Helmchen n’a cependant pas accordé de rappel. En effet, quelle oeuvre de grand
niveau aurait pu s’ajouter à ce récital de toutes les perfections?
CRUCIAL RAPPEL D’UNIQUE MOMENT IMMINENT AUX MÉLOMANES MONTRÉALAIS
La première quinzaine de décembre 2017 passera dans les annales de l’histoire
musicale montréalaise comme celle des plus enlevantes heures de l’année qui
s’achève. Alors que l’Orchestre Métropolitain dirigé par Yannick Nézet Séguin
revient d’une triomphale tournée européenne éclair, la plupart des mélomanes
montréalais n’ont pas souvenir vivace d’avoir eu la chance d’entendre un artiste de
la stature de Svjatosllav Richter en concert à Montréal, puisqu’il vint à nous il y
a près de cinquante ans. À l’annonce d’un événement comparable et imminent, je le
dis, oui, tout à fait équivalent, je convie -par mes conseils bienveillants- les
amateurs de très grande musique de bien vouloir rejoindre les rangs de ceux qui
entendront le 9 décembre prochain, à la Maison Symphonique, un artiste de cette
stature quoique jeune: le célèbre élève de Neuhaus retrouve sur Terre, peut-être
abandonné tout seul parmi nous, un membre de sa parenté artistique: j’ai nommé Lucas
Debargue. Par les fruits du hasard ma vie de bohème incorrigible, je me trouvais à
Moscou à l’été 2015 lors de son triomphe que j’ai suivi au jour le jour. Lucas
Debargue dont le récital de musique de chambre a lieu ce soir même à Québec (dans un
programme comportant par exemple les Mythes de Szymanowski), jouera, samedi 9
décembre prochain, à Montréal du Scarlatti, du Chopin et surtout l’extraordinaire
oeuvre de Ravel intitulée Gaspard de la Nuit dont Debargue détient le secret des
alliages de la transmutation du son en or et en diamants. Lucas Debargue, jeune
génie à la tête bien posée sur les épaules, n’a pas même 25 ans (ou à peine) mais il
est plus que thaumaturge musical, il est alchimiste guérisseur de tous les spleens
de l’âme. Foncez donc vous acheter une place dans le choeur, derrière ou devant son
piano (s’il en reste encore). Le voyage musical au septième Ciel est garanti et sur
le tapis magique de l’harmonie des sphères.