Une fois encore le Concours Musical International de Montréal 2019 fera encore parler de lui comme un révélateur de talents plus qu’exceptionnels mais probablement un artiste se révèlera comme le virtuose vedette unique dans l’histoire de l’interprétation musicale dans la personne du concurrent américain Hao Zhou. Malgré que tous les regards soient tournés vers Moscou qui entamera d’ici 14 jours les pavanes incomparables des plus grands musiciens solistes tous instruments confondus (mais de célébrité surtout les pianistes et les violonistes), Montréal réussit l’exploit avec son CMIM à inscrire plusieurs futures étoiles des salles de concerts avec six violonistes finalistes à son célèbre évènement si bien fignolé et élégamment conçu en tous ses volets.
En ce premier soir de finale de concours, mardi 4 juin, à la Maison Symphonique, avec le soutien enchanteur de l’Orchestre Symphonique de Montréal dirigé par l’adroit Howard Shelley, trois excellents concurrents américains se faisaient face malgré des oeuvres fort dissemblables selon leurs exigences techniques et lyriques tout autant qu’en leur étoffe onirique ou dansante. Tout d’abord l’Américaine Elli Choi qui n’a d’ailleurs que dix-huit ans a offert son interprétation d’une des plus belles oeuvres concertantes du répertoire pour violon au vingtième siècle signée par Béla Bartok soit le second concerto pour violon et orchestre.
Mademoiselle Choi est dotée d’une sensibilité mélodique déchirante (eh oui, dans du Bartok!) puisque son instrument (un violon signé Florian Leonhard copiant le luthier Guadanini) recèle de couleurs envoûtantes et que son sens du phrasé la poste parmi les meilleures à ce jadis rébarbatif répertoire devenu avec le temps une grande source d’émerveillement. La seconde finaliste fut Christine Lim, âgée de 24 ans, détenant comme seconde nationalité celle de la Corée du Sud, ce jardin d’immenses musiciens tant chanteurs que violonistes ou pianistes dont les talents savent éclore et enjoliver tous les concours internationaux de musique.
Christine Lim avait choisi le Concerto en ré mineur op. 47 de Jean Sibélius, sans doute l’oeuvre la plus lyrique du répertoire et porteuse de hautes difficultés techniques tant en dextérité qu’en justesse sonore. Stoïque, concentrée, avec une grande aisance d’expression mélodique portant au point culminant la poésie de l’oeuvre, elle offre la silhouette attique des déesses antiques en leur figure altière de laquelle émane une grâce sans effort. Christine Lim s’est élevée à la hauteur des grands -comme on disait jadis- à la hauteur des regrettées Ginette Neveu ou de Ida Haendel. Après l’entracte, nous arrivons enfin au violoniste de 22 ans Hao Zhou.
Je recopie ici sans arabesques vaseuses mes notes prises sur le coup de l’émotion durant son interprétation du spectaculaire et festif Concerto no.1 en la mineur op.77 de Dimitri Chostakovich : puissance sonore, étoffe des grands maîtres insurpassables, une technique corporelle d’animation du jeu par l’archet et la danse qui rappelle James Ehnes et Gil Shaham, en somme une expressivité à la Oleg Kagan mais avec une jubilation poétique inouïe à ce jour…une suprématie indiscutable en tous les aspects musicaux et rythmiques exigés par cette oeuvre de jubilation tzigane, car ces passages tziganes sont magistralement exécutés. L’élan extatique du second mouvement marqué scherzo et durant la Passacaille (troisième mouvement marqué Andante) les moments d’onirisme poétique dépassent la réussite et frôlent la plus pure des méditations.
Après le mouvement final intitulé Burlesque et marqué Allegro con brio puis Presto, je me suis pris à écrire «cet homme est le plus grand violoniste que j’aie entendu de ma vie, plus grand que Stern, plus grand que Ferras, tout aussi bacchante musical que David Oistrakh» et là je me suis dit, calme-toi un peu mon vieux, il y a demain soir et tout le concours Tchaïkovsky de Moscou jusqu’à saint Petersbourg où on rêve tous d’aller se laisser de bercer de musique par tant de rivaux exceptionnels.
Photo: Tam Lam Truong