C’est le 2 juillet que le film Beans de la réalisatrice Tracey Deer prendra l’affiche dans nos salles de cinéma. Grâce à ce film, le spectateur se voit décrire la crise historique d’Oka au Québec, en 1990, dans la perspective d’une jeune fille mohawk de 12 ans et sa famille. Un film coup de poing qu’il faut voir pour une bonne réflexion collective et pour changer notre regard sur ces événements. Ce film a remporté le prix du meilleur film lors du dernier gala des Prix Écrans canadiens.
Résumé : « Beans, douze ans, est à cran : tiraillée entre l’innocence de l’enfance et l’éveil bouillonnant de l’adolescence, forcée de grandir rapidement pour se transformer en la courageuse guerrière mohawk dont elle a besoin pour survivre. Beans est l’histoire émouvante d’une jeune fille et de son passage à la vie d’adulte, se déroulant pendant les événements de la crise d’Oka, qui ont déchiré le Québec pendant 78 jours de l’été 1990.»
Ce film « s’inspire d’événements réels », soit la crise d’Oka de l’été 1990 et s’inspire en grande partie du parcours de Tracey Deer. Bien qu’il s’agit d’une famille fictive qui est au cœur de ces événements, c’est la scénariste et réalisatrice Tracey Deer qui raconte un peu sa propre histoire, alors qu’elle avait 12 ans en 1990. Ce n’est pas véritablement autobiographique, mais le voyage émotionnel de notre jeune héroïne s’inspire du propre voyage de Tracey, qui s’est étendu de l’adolescence à l’âge adulte. Les détails de sa vie sont vrais : elle est née et a grandi à Kahnawake, sa jeune soeur est sa meilleure amie, sa mère est une force de la nature, elle a eu recours à l’automutilation pour refouler ses sentiments et « s’endurcir », elle était dans la caravane qui a été attaquée et lapidée par une foule haineuse, elle a survécu à une agression sexuelle, elle a quitté la réserve pour aller au lycée, elle avait de grands rêves pour son avenir et elle n’a pas laissé (et ne laisse toujours pas) la peur l’empêcher de se battre pour ce en quoi elle croit.
Tracey Deer a eu la brillante idée de nous faire voir cette crise à travers le regard et les émotions de cette jeune fille, et de nous amener, dans la communauté pour y vivre ces événements de l’intérieur. Je me rappelle avoir entendu parler de ce qui se passait à Montréal, alors qu’en guise de soutien, les Mohawks de la réserve voisine de Kahnawake ont barricadé le pont Mercier. Et tout ce que j’en savais de cette histoire était les récits dans les journaux et les bulletins de nouvelles. Je me souviens aussi de la colère des gens, et j’en faisais partie malheureusement, de penser que ces Mohawks nous polluaient la vie, alors qu’ils ne faisaient que protéger leur territoire.
Ce film m’a permis de voir à quel point c’est nous les blancs, qui ont fait preuve de racisme, d’exclusion, de violence et de haine envers ce peuple qui ne demandait qu’à conserver leur identité autochtone et leur territoire. Et surtout, j’ai été horrifié de voir que ce sont surtout les femmes et les enfants qui ont été attaqués et maltraités par ces gens qui ne voyaient en eux que des terroristes. Tracey a utilisé, à l’occasion, de vraies scènes d’archives, de certains événements, permettant ainsi de ressentir tout le réalisme de la situation et montrer comment le brasier s’est enflammé au fil des jours. Ces scènes d’archives qui frappent fort, mélangées aux scènes recréées avec la famille fictive, nous font vraiment vivre toutes les émotions que ce peuple a vécues pendant des 78 jours.
Le film est extrêmement bien construit. On apprend à connaître cette famille, alors que les événements éclatent et surtout on voit cette jeune fille de bonne famille, timide et apeurée, se prendre en main pour s’endurcir face à la douleur, à la violence, à la noirceur de la réalité dans laquelle elle vit. Pour survivre, elle va s’attacher à un groupe de jeunes rebelles, dont April (Paulina Alexis), pour qu’elle l’aide à se transformer en courageuse guerrière mohawk. Kiawentiio qui incarne Beans est criante de vérité et on ressent aisément toutes ses émotions. On comprend son cheminement, même si on ne l’encourage pas. Et on est de tout cœur avec cette mère, enceinte (fabuleuse Rainbow Dickerson) qui tente de survivre avec ses deux jeunes filles. Ruby (Violah Beauvais), la petite sœur de Beans est tout simplement mignonne et on est de tout cœur avec elle dans ces moments difficiles.
Une des scènes les plus chargées émotivement à regarder, est assurément la reconstitution de la foule en colère qui a jeté des pierres sur les femmes, les enfants et les personnes âgées Mohawks alors qu’ils cherchaient à se mettre à l’abri à Montréal, pendant qu’ils traversaient cette foule en auto en provenance du pont Mercier. J’ai eu mal à mon cœur de Canadien français. J’ai eu honte de mon héritage de blanc borné et fermé. Ouf! Quel moment à vivre!
Il y a aussi une scène très forte que je retiens. Il y a une confrontation entre les Mohawks et les policiers, chacun derrière leurs barricades. Et les femmes autochtones s’unissent entre les deux barricades, en formant une ligne et elles proclament : «Si on veut le respect, on doit agir respectueusement|». Quel moment fort à donner des frissons!
Je pense que Tracey a réussi avec ce film à démontrer ce que cela signifie d’être dans la ligne de mire de tant de haine et de colère, et l’impact destructeur que cela a eu sur ce peuple. Les innocences brisées, la confiance et l’espoir détruit. En espérant que ce film fera réfléchir la collectivité pour que cessent ces confrontations raciales, la violence face aux différences. Ce n’est pas normal qu’on doive encore se battre pour la justice raciale et sociale en Amérique du Nord. En espérant que ce film ouvrira les esprits et les cœurs un peu plus pour faire cesser l’intolérance, l’indifférence et l’ignorance.
Bref rappel sur les événements.
La crise d’Oka a été un affrontement armé de 78 jours (11 juillet-26 septembre 1990) entre des manifestants mohawks et la police du Québec, la Gendarmerie royale du Canada et l’armée canadienne.
Tout a commencé lorsque la ville d’Oka, au Québec (1 600 habitants), a décidé d’agrandir son terrain de golf de 9 à 18 trous et d’y construire des condominiums. Pour ce faire, elle devait raser une forêt ancienne, connue dans la réserve mohawk adjacente de Kanesatake sous le nom de « The Pines ». Afin d’empêcher cet empiètement sur leur territoire, les résidents mohawks ont occupé The Pines dans le cadre d’une protestation pacifique. Pendant des mois, ils ont campé pour s’assurer que les bulldozers ne renverseraient pas les vieux arbres majestueux et ne perturberaient pas le cimetière. Le 11 juillet 1990, le maire d’Oka fait appel à la police provinciale pour déloger les manifestants par la force. Une fusillade éclate et un policier, Marcel Lemay, est tué. La police bat en retraite et une barricade est érigée sur l’autoroute menant à Kanesatake.
En guise de soutien, les Mohawks de la réserve voisine de Kahnawake barricadent le pont Mercier, qui est utilisé par des milliers d’usagers travaillant à Montréal. Contrairement à la manifestation dans la région rurale de Kanesatake, de nombreux Québécois sont maintenant incommodés et en colère. La « crise d’Oka », comme on l’appelle, est devenue un sujet d’actualité. Les médias dépeignent les Mohawks comme des terroristes, tandis que le racisme à l’égard des manifestants autochtones se développe.
Le 8 août, le premier ministre québécois Robert Bourrassa demande au gouvernement canadien d’envoyer l’armée. Des chars roulent jusqu’aux barricades et des soldats armés de fusils patrouillent le long du fil barbelé entourant les réserves. Plus de 200 millions de dollars d’argent public ont été dépensés, les crimes de haine raciale sont devenus monnaie courante et le peuple mohawk a été privé de ses droits fondamentaux sur ordre des gouvernements en place.
Beans est une histoire de femmes racontée par des femmes. Il y a la réalisatrice et coscénariste (Tracey Deer), la productrice (Anne-Marie Gélinas), les productrices exécutives (Justine Whyte et Meredith Vuchnich, qui est également coscénariste), la directrice de la photographie (Marie Davignon) et la monteuse (Sophie Farkas-Bolla) qui sont toutes des femmes. Et six des rôles principaux sur dix sont des femmes !!!
Ce film a été tourné à Kahnawake, Kanesatake, Oka et Montréal,
Langue: anglais et français (sous-titres français et doublage français pour la sortie en salle)
Bande-annonce : https://bit.ly/34KXO7u
Beans est distribué par Mongrel Media au Canada anglais et Métropole Films Distribution au Québec, et sortira le 2 juillet 2021. Il sera ensuite disponible sur la plateforme en ligne de Crave.
Genre: Drame
92 mins, Canada, 2020
Avec:
Beans / Tekahentahkhwa Kiawentiio Tarbell
Lily Rainbow Dickerson
Ruby Violah Beauvais
April Paulina Alexis
Hank D’Pharaoh Mckay Woon-a-Tai
Kania’tariio Joel Montgrand
Coyote Taio Gélinas
Karahkwenhawi Brittany Leborgne
Hazel Kelly Beaudoin
Gary Jay Cardinal Villeneuve
Mrs. Arsenault Dawn Ford
Dorothy Ida Labillois-Montour
Victoria Caroline Gélinas
Aunt Mimi Angie Reid
Un film réalisé par : Tracey Deer
Un scenario de : TRACEY DEER & MEREDITH VUCHNICH
Directeur photo : MARIE DAVIGNON
Production Designer : ANDRÉ CHAMBERLAND
Editor :SOPHIE FARKAS BOLLA
Casting : MAXIME GIROUX et RENE HAYNES
Costumes : ÉRIC POIRIER
Production Sound : YANN CLEARY
Son : SYLVAIN BELLEMARE
Re-Recording Mixer : STÉPHANE BERGERON
Musique originale : MARIO SÉVIGNY
Assistant de production : KENNETH PROULX
Production : ANNE-MARIE GÉLINAS
Chanson du générique de fin : Light at the End
Composée et interprétée par : Kiawentiio
Arrangé et mixé par : Mario Sévigny
Courtoisie de Kiawentiio
Pour voir la réalisatrice Tracey Deer raconter sa vision de ce qu’elle a vécu lors d’un des moments clés de la crise d’Oka, que l’on retrouve recréée dans le film. Tracey raconte ce moment qui a tout changé pour elle en 1990 : https://www.cbc.ca/player/play/911498819780
EMAfilms : emafilms.com
Métropole Films Distribution
photos : courtoisie de EMAFilms