Quelle soirée inoubliable que ce concert du 18 septembre à la Maison Symphonique! Comme première œuvre au programme, une harmonieuse et mélodique écriture pour ce poème symphonique d’une douzaine de minutes intitulé La Chapelle.
Une Première mondiale
Cette commande en première mondiale de l’Allemand Michael Oestrele met tous les pupitres à contribution alors que ses idées se développent avec sens et continuité. Elle fut créée pour intégrer les 4 nouvelles cloches d’église acquises à l’ensemble comme nouveaux instruments de l’orchestre (sonnant chacune une note, soit le mi le plus aigu, un ré dièse, un do deux octaves au-dessus du do central et un sol).
Son nom de baptême est en l’honneur de la Chapelle historique du Bon Pasteur. Vous vous rappelez de cet édifice incendié du Patrimoine culturel protégé qui n’est toujours pas encore en voie concrète de reconstruction? Malgré la promesse de Valérie Plante le soir-même de l’incendie, il y a 18 mois?
Enfin, cette promenade sonnante gravite aux environs d’une chapelle tintant à 4 hauteurs de sons ses évocations: elle jouit d’une écriture riche d’influences allant de Paul Hindemith à Samuel Barber en passant par Gershwin. Ultimement, les bois et vents nous laissent dans une paisible sérénité après le tintement carillonnant de la quatrième cloche. Je voudrais bien la réentendre plusieurs fois encore.
Concerto pour piano de Schumann
La seconde oeuvre au programme était le suave concerto pour piano et orchestre opus 54 de Robert Schumann (1810-1856) composé entre 1841 et 1845, gravé au cœur du grand romantisme allemand. Sa femme Clara Schumann en fut la première interprète et l’être d’amour conjugal et musical fortement idéalisé en cette musique.
Tendresse, délicatesse, effusions sentimentales
Le concerto exige une grande souplesse d’émotions, dès l’indication Allegro Affettuoso (soit Entrain de joie affectueuse). Puis, encore plus de tendresse avec les mots Andante espressivo du tout premier mouvement. Sous les doigts exercés de Daniil Trifonov, sa conception ne laissa place à aucun doute sur l’approche variable en rigueur quelque tonitruance que Trifonov y mette comme si subitement il se croyait dans Brahms ou même Rachmaninov par des effets percussifs qui jurent un peu dans l’unité de sa conception.
L’inoubliable pianiste Martin Helmchen
L’OSM avait offert, jadis, en un brillantissime concert inoubliable à la Maison Symphonique un summum de poésie inégalable ou insurpassable sous Kent Nagano et les doigts du jeune mais délicat et remarquable Martin Helmchen. C’était il y exactement 5 ans, presque jour pour jour. Dans nos pages, nous espérions alors réentendre ce garçon par une cristallisation sur disque avec l’OSM: c’est notre vaillante maison de disques Pentatone qui l’a fort bien enregistré ce virtuose, mais avec l’Orchestre de Strasbourg cette fois sous le bâton de Marc Albrecht.
De multiples références de haute valeur
Répliqué des centaines de fois par tous les plus éloquents et aptes pianistes de toutes les écoles pianistiques depuis presque cent ans, nous avons des références vinyles d’éblouissantes délicatesses affectionnant cette musique dans ces versions enregistrées par Myra Hess, Clara Haskil, Svjatoslav Richter (sous le chef Stanislav Wislocki), Sergio Fiorentino, Walter Gieseking (sous Herbert von Karajan), Arthur Rubinstein, Lili Kraus, Solomon Cutner, Dinu Lipatti.
Daniil Trifonov tout de même au zénith parmi ses pairs
Délibérément énumérées ici par ordre de mes préférences, où se situerait le pianiste russe Daniil Trifonov qui cherche souvent à se positionner comme l’héroïque athlète triomphateur du clavier et des partitions rendues percussives? Il approche par moments l’œuvre avec ses muscles avant que de se pencher sur les ressources encore cachées de son âme décidément moins vouée à la poétique qu’à la mécanique.
Tout de même de magnifiques dialogues avec le hautbois (Vincent Boilard) , la clarinette (Todd Cope) nos fabuleuses flûtes (Albert Brouwer comme plus tard dans le Berlioz avec Timothy Hutchins) enfin tous les vents sublimes de l’OSM ont contribué à ce beau Schumann de Trifonov. Bien entendu, pour moi, l’ombre du souvenir impérissable d’Helmchen planera à jamais au-dessus de ces nouvelles tentatives pianistiques de dépassement (en tout cas pour qui tient compte de ses souvenirs!). Le rappel d’un fragment de mouvement de la sonate opus 80 de Tchaïkovsky fut un agrément rappelant les atouts de répertoire du pianiste célébré partout comme l’est Yuja Wang.
Un Berlioz sans égal en sa Symphonie Fantastique avec de vraies cloches!
Rafael Payare dirigeait l’œuvre comme le plus grand maître de sa jeune génération, avec son énergique fraîcheur et l’arrivée de quatre authentiques cloches offertes par le mécénat de Canimex. Cette Symphonie fantastique fut un régal royal en ses cinq mouvements inégalés en musique française.
Berlioz, avec sa vie d’artiste cyclothymique au puissant tempérament – qui offrit au total quatre riches symphonies dont les trois dernières sont bien méconnues – méritait cette authentique interprétation de l’OSM, un génie d’émotions sous Payare. Tout le monde sait que nous entrerions ici, en ultime partie de programme, dans le répertoire de spécialisation reconnu mondialement à l’OSM, tant travaillé sous Charles Dutoit, élève-modèle du coloriste orchestral que fut son mentor Ernest Ansermet. Rafael Payare a surpassé, à mon humble avis, avec son ensemble toutes les interprétations antérieures auxquelles j’avais assisté .
Promesse reçue d’un paradis musical retrouvé
Si le paradis nous avait été promis dans l’angoisse des folies de ce monde imprévisible d’attentats et d’inquiétudes, j’ai vu, bien présente dans l’assistance en salle comble de cette mémorable soirée, une jeunesse montréalaise nouvelle venue aux abonnés. Grâce aux applaudissements nourris, on a chassé la démence qui assombrit notre civilisation, de sorte que ce paradis recherché fut, en ce 18 septembre, la Maison Symphonique elle-même.
Cuivres, bois, quatuor à cordes en entier, riches d’ajouts de ces cloches, les percussions, les deux harpes, le chef non seulement guida une interprétation de haute voltige et de dialogues entre nos meilleurs solistes des pupitres, mais ce fut surtout l’unité parfaite de conception. Quels chatoiements et timbres en parfaite cohésion! Un chef-d’oeuvre d’interprétation inégalée dans l’histoire de l’interprétation musicale tous ensembles montréalais confondus depuis les cinquante ans que j’y assiste.