À première vue, il serait tentant de penser que le dernier étage de la Sala Rossa a simplement accueilli une compétition de danse dans la soirée du 21 octobre. L’œil observateur, cependant, pourra sûrement identifier que c’est plutôt en une machine pour voyager dans le temps et unir les générations, que la salle rectangulaire s’est métamorphosée durant plus de 2 heures.
Le waacking
Au rythme des mesures de la musique disco choisie par le talentueux DJ B’UGO, et entre poses extravagantes, jeux de jambe, fouettés de bras et changements de vitesse, les artistes participant au Music Sensation ont su ouvrir une dimension spatiotemporelle honorant les racines et l’évolution du waacking.
Fruit du talent et de la résilience des membres afro-américain.e.s et Latinx de la communauté LGBTQ+ de Los Angeles, le waacking émerge dans les années 70 comme un échappatoire aux dynamiques sociétales oppressives. Ce refus de se laisser définir et détruire par les obstacles et injustices du quotidien, prend chair dans cette danse qui pose les règles d’un jeu qui invite le corps à incarner les histoires et émotions de personnages plus grands que nature au son de la musique disco. Laisser s’exprimer la créativité et la musicalité au-delà de toute norme hétéronormative et homophobe, telle est la mission du waacking.
Viktor Manoe, l’un des pionniers de cette danse, dira d’ailleurs que le waacking consiste dans son essence à « changer le script » : refuser d’être dominé.e et devenir, le temps d’une chanson ou d’une soirée, la personne qui impose ses propres règles par sa présence et sa technique flamboyante, fougueuse et charismatique.
Cette compétition de waacking qui venait clore le festival Phenomena ainsi qu’une semaine d’ateliers de danse organisés par Axelle « Ebony » Munezero d’Asymmetry Creations, a été jugée par 2 sommités de l’art. Mounia, danseuse de waacking renommée venue de Paris et le californien Billy Goodson, un des pionniers du waacking. C’est donc à ce jury international, incarnant simultanément la genèse, l’évolution et la longévité du waacking, qu’est revenue la difficile tâche d’évaluer le talent des danseuses et danseurs.
La compétition
Et du talent, toutes et tous en avaient à revendre. Le jury avouera d’ailleurs que la pré-sélection s’est achevée avec 18 artistes plutôt que 16, parce que les choix étaient trop difficiles à faire. Le battle commence avec un tirage au sort et les artistes se font face durant des rounds de 45 secondes, au son de la musique et des exclamations, applaudissements et encouragements d’une salle remplie. À chaque tour, la difficulté de choisir la personne qui continue à la prochaine étape est palpable. À 3 reprises, il faudra d’ailleurs un round additionnel pour que le jury puisse arriver à un consensus. Le public est loin d’être pressé : les gestes et les pas sont majestueux, l’ambiance est excellente, Mautassine – dont on saluera l’aisance et les facilités de maître de soirée – maintient le dynamisme et s’assure que l’énergie ne redescende à aucun moment.
Le pari est réussi car bien loin de redescendre, l’énergie devient contagieuse. Billy Goodson partagera que le talent des artistes, autant ceux et celles participant au battle que ceux et celles qui ont participé aux ateliers – « donne envie au vieux monsieur [qu’il est], de danser aussi ».
La soirée avance et à chaque élimination, le respect, l’appréciation et la bienveillance que les artistes ont l’un.e envers l’autre est démontrée par des applaudissements, câlins, tapes dans le dos et becs sur le front. L’heure de la finale arrive, et met face à face Clarence et Laquisha, laissant le jury, une fois de plus, avec une tâche très difficile. Après 3 rounds et plusieurs minutes de délibérations, c’est finalement Laquisha qui est déclarée la grande gagnante, sous un tonnerre d’applaudissements. Clarence, dont le talent ne peut être remis en question, recevra aussi de longs applaudissements mérités du public et du jury.
La compétition Music Sensation s’est achevée avec une grande gagnante, toutefois, le trésor de la danse est qu’elle ne laisse jamais personne perdant – encore moins lorsqu’il s’agit d’une danse qui a conservé durant des décennies ses racines revendicatrices et militantes pour une société plus inclusive, plus juste et plus réceptive aux identités de toutes et tous. Nul ne sait de quoi sera fait demain, mais Music Sensation a démontré que l’histoire et les contributions de la communauté LGBTQ+ continuent d’être saluées, célébrées et honorées à Montréal. Un événement réussi et impeccable.
Crédit photo : Caroline Hayeur