Le concours musical international de Montréal (CMIM) 2018 organisé magnifiquement à partir du célèbre édifice des Jeunesses musicales du Canada rue Mont-Royal, ayant pris la relève de celui jadis appelé Concours international de musique de Montréal (CIMM) recèle en réalité, cette saison, d’une ambition de trois triomphes parallèles. En chant, cette année, des artistes rivalisent pour un premier prix soulignant différentes qualités soit apparemment un triomphe dans chacune des deux importantes du métier soit catégorie Mélodie ou Arias d’opéras ou d’oratorios ou de Requiem. Tout d’abord, celui auquel nous avons en tout premier assisté avec de délicieux emportements de la plus pure exaltation mélomane, soit le volet Mélodie classique comportait -en tant que format- tout simplement un chanteur ou une chanteuse accompagné(e) le plus souvent magistralement par un de ces pianistes dits accompagnateurs mais dont l’art est au suprême de la délicatesse et du savoir faire. Déjà nous sommes passés, au terme de la journée du mardi 29 mai, de 16 candidats chanteurs volet Mélodie à 8 demi finalistes. Et de 10 pianistes accompagnateurs-collaborateurs en lice à seulement 4 évoluant pour le prix d’accompagnement. À n’importe quel concours international (que ce soit le Chopin de Varsovie, le Tchaïkovsky de Moscou, le Van Cliburn de Fort Worth-Texas ou celui de Montréal), chaque fois, le public averti entreprenant de suivre intégralement un concours, fait face à des surprises et des découvertes. Quoiqu’on puisse suivre le déroulement quotidien des éliminatoires et de chaque étape dans le confort de notre foyer via le WEB, être sur place pour le chant comporte l’immense avantage de mesurer l’étendue d’une voix dans un espace sonore appelé la salle de récital ou de concert tout en constatant l’aura spectaculaire de chacun de ces artistes à comparer lorsqu’ils ou elles montent sur scène. Habitué -presque maniaque- aimant suivre nos artistes québécois et canadiens l’année durant depuis 1978 où je me dirige le coeur enthousiaste tant sur la colline de la Salle Claude Champagne de l’Université de Montréal à deux pas de chez moi, qu’aux nombreux concerts des diplômés de la fabuleuse faculté de musique de l’Université McGill, les voir ces jours-ci accéder ensuite au concours musical international de Montréal (CMIM) est un plaisir décuplé d’en connaître déjà le talent. Cette année de grande moisson 2018, durant le volet Mélodie classique dont la demi-finale aura lieu demain vendredi premier juin, dès 15h, à la Salle Bourgie, j’ai eu la joie de prendre la mesure de nos talents artistiques québécois ou de ceux qui évoluent ou ont évolué chez nous via nos conservatoires et nos écoles. C’est véritablement un hommage à rendre à ces professeurs-répétiteurs de chez nous dédiés et passionnés qui transmettent l’art de l’interprétation que de décrire ces prodiges de justesse et d’expression auxquels nous avons assisté. Tout d’abord, je m’en veux de ne pouvoir énumérer tous ces professeurs faute de lieu et d’espace, mais il faut parler de ces talents aux voix et aux doigts superbes ayant si splendidement travaillé leur art depuis des décennies et cela chaque matin, chaque jour avec foi soit un sacrifice des paradis artificiels sur lesquels nombre d’entre nous anéantissons nos vies et nos talents par claviers électroniques piégés de leurres ludiques. Le vrai grand art aristocratique de la musique, du ballet et du théâtre enjolivé par nos interprètes au feu sacré qui sont ces meilleur(e)s élèves disciplinés et talentueux, mérite que je m’attarde à vous décrire leurs exploits musicaux au CMIM. Les Québécoises qui ont ébloui les mélomanes sensibles et sensés sont les soprani Magali Simard-Galdès accompagnée divinement par l’élégant Michel-Alexandre Broekaert et ensuite, bien évidement la souverainement majestueuse Ana-Sophie Neher adroitement accompagnée par la pianiste Magdalena von Eccher. De la première, mademoiselle Simard-Galdès (remplaçante au CIMM 2018 du baryton allemand Samuel Hasselhorn grand vainqueur, il y a une dizaine de jours, du Concours Reine-Élisabeth de Belgique) il faut dire qu’elle a la présence élégante et l’expressivité des futures grandes interprètes: la voix est nuancée, juste, expressive, sobre quand il le faut et son programme était splendidement réalisé. Son pianiste Michel-Alexandre Broekaert oeuvrait avec raffinement, doigté et délicatesse à ses côtés donnant au couple des allures de messagers de la pus divine musique qui soit dans une sélection d’oeuvres de Debussy, Schubert et Clarke travaillées avec soin et minutie. Inoubliable moment pour le présent et l’avenir, car l’artiste a trouvé en ce jeune Broekart radieux de savoir-faire, un partenaire idéal qui a en putatif le talent de cantabile pianistique des Irwin Gage, Geoffrey Parsons, Dalton Baldwin et Gerald Moore. Voilà la magnitude du trésor (et je pèse mes mots) que nous avons enceint en notre beau pays si divers. L’autre émerveillement canadien s’est produit sous la radieuse image d’Ana-Sophie Neher qui est de double nationalité allemande et canadienne, une jeune femme que les mélomanes avertis ont entendue avec discernement et aperçue cette année en Lucia (Lammermoor, Donizetti) à l’Opéra McGill en ses sublimes réalisations. Mademoiselle Neher dispose, elle aussi, d’une présence scénique remarquable à l’égale de la radieuse tenue magnétisante du rare Philippe Sly, ce baryton qui avait remporté haut-la-main, sans conteste même, les honneurs à Montréal, il y a déjà plus de cinq ans, lors d’un autre concours inoubliable. Accompagnée par une superbe pianiste que j’entends fréquemment à l’école dite Schulich, c’en est une autre qui s’était soigneusement préparée, je mentionne donc Magdalena von Eccher, eh bien Mademoiselle Ana-Sophie Neher rendit à la juste perfection Auf dem wasser zu singen et ensuite un fort beau Nacht und Traume de Franz Schubert. Ce n’est pas tout, car Les Roses d’Ispahan et Fleur jetée du grand Gabriel Fauré atteignirent le sublime grâce à sa délicate sensibilité de très grande artiste couronnant une interprétation soignée que je ne puis comparer qu’à l’excellence de celles d’Elly Ameling (coffret Brilliant Classics 92792). Complétait un programme court peaufiné impeccablement, un très beau choix tiré des chants de l’ermite de Samuel Barber, soit St.Ita’s Vision. À l’issue de cela, un auditeur se demande, bien sûr étant donné que c’est fort court quinze minutes pour se décider, veux-je entendre encore davantage ces artistes et la réponse eût du être un oui ferme pour nos deux féminines artistes d’ici. Mais cela aurait fait sept des huit demi-finalistes entièrement femmes -puisqu’à mes yeux véritablement un seul homme méritait de passer en finale mélodie et je ne dis pas qui tellement c’est chagrinant… Il y a aussi et surtout, un tremblement de terre scénique de haute magnitude s’étant produit sous nos yeux écarquillés du prodigieux, soit après la prestation remarquable (je le répète) de Magali Simard-Galdès et un peu avant celle bouleversante de Ana-Sophie Neher: nous avons vu apparaître ni plus ni moins qu’un oracle, oui le mot est fort, je le sais, mais aucun autre mot ne peut m’expliquer cette vision, cette apparition tant vocale que d’aura stupéfiante de feu sacré rarissime et inoubliable dans la vie des auditeurs, car nous, les simples auditeurs, nous avons aussi des annales d’émotions et de transports que nous accumulons en mémoire avec force, vélocité et ce bouleversement de nos battements de coeur auxquels notre âme est à jamais soumise. Il devait être quatre heures trente de l’après-midi, mardi 29 mai, lorsque est apparue telle une déesse carthaginoise descendue directement du plus haut Olympe musical méditerranéen, j’ai éprouvé la magnétisante Rihab Chaieb, mezzo-soprano tunisienne venue jadis étudier à Montréal le chant (encore McGill!). Altière, distinguée, avec un port de tête de danseuse étoile, non pas prima ballerina mais prima donna. Dès les premières mesures du Bizet (Adieux de l’hôtesse arabe), suivi ensuite d’un déchirant Schubert rien de moins que La jeune fille et la Mort, plus personne ne respirait: notre souffle coupé par les émotions fit faire double-tour au sang de nos veines et artères. Nous étions terrassés non par la méduse mais par une diva de haut parage dont le visage est celui, enjolivé en plus, d’une véritable Maria Callas allié à la puissance foudroyante d’une voix portante comme celle de notre regrettée Huguette Tourangeau (morte ce printemps) à ses meilleurs moments (à réécouter svp ses enregistrements renversants sous Richard Bonynge). Enfin, le décalage entre Rihab Chaieb et toutes celles qui ont suivi ou qui l’avaient précédée nous a fait comprendre le sens profond de l’expression anglaise She sets the standard qu’on pourrait traduire par l’étalon de mesure de la véritable stature des étoiles de tout firmament musical. Des trois artistes de chez nous dont j’ai choisi ici de parler, seule madame Chaieb passe officiellement en demi-finale des Mélodies dès 15h ce vendredi premier juin à la salle Bourgie, mais elle participe aussi au volet aria où elle sera une comète redoutable à tout ce qui se présentera sur son chemin. Je ne vois pas comment (à moins de défaillance imprévisible ou improbable, bien sûr) tous les premiers prix pourront lui échapper! Comme je ne m’explique pas l’élimination des Québécoises ou Canadiennes ci-haut mentionnées autrement que par deux raisons dont la première me semble un peu insignifiante, je vous les révèle: une nécessité d’équilibre dans le nombre des voix masculines et féminines avançant au concours mais surtout le motif qu’en dépit que ce soit le volet Mélodies, les juges qui sont majoritairement du monde de l’Opéra, ne peuvent s’ôter de la tête qu’il faille encore juger de ce que le candidat ait un avenir ou -déjà bien établie- une avenue côté opératique comme s’il était inimaginable que la carrière de mélodistes puisse faire vivre quelqu’un qui s’y adonnât exclusivement. N’eût-il pas fallu un autre jury de juges entièrement convaincus de la seule carrière du volet Mélodies? Je le crois fermement. Les éliminations des deux Canadiennes et d’une sensationnelle interprète chinoise du nom de Mengxi You m’en convainc surtout qu’en deux des hommes retenus en demi-finale, un qui a certes des dons d’interprétation n’a eu de cesse de détonner (fausser) tout au long de sa prestation mais surtout dans le Fauré qui faisait mal à entendre. Un autre des hommes retenu était si peu convaincu lui-même de son passage qu’il s’est présenté le soir en tenue de vacances à la cérémonie de dévoilement des noms des demi-finalistes. Enfin, ces petites vexations de procédure et de perspective exacte de ce que doit comporter le volet strictement Mélodies pour ce que cela consiste et signifie comme choix humble mais valeureux de carrière, ces contrariétés passeront puisque le talent est immense et qu’on ne trouve pas des Rihab Chaieb à tous les coins de rue (ou des Philippe Sly car on parle de prodiges et ils sont rarissimes en musique classique, en ballet ou en théâtre autant qu’en littérature). Nous sommes, ici, dans les grands arts aristocratiques où il y a plus d’appelés que d’élus et si notre système scolaire faussement démocratique ou pathétique voire pathologique d’obsession du plus petit dénominateur commun au passage en classe suivante, symptôme de notre décadence culturelle a choisi de les exclure de la formation ces arts aristocratiques, c’est que cette musique classique dérange, cette danse métamorphose le regard, ce théâtre classique transfigure notre vision du monde, cette haute littérature donne de la culture générale et du jugement essentiels pour virer du pouvoir les insignifiants qui veulent gouverner partout (en Mélodie c’est la base de la poésie française pour l’exemple de la moitié de la valeur artistique des chants entendue au volet Mélodie qui exigerait un juge de ce jury montréalais au moins versé profondément en littérature classique et universelle pour assurer que le texte ait été livré en son sens littéral et littéraire profond la langue étant musique aussi). Tout cet apprentissage de la vie par la haute culture, tout cela n’est accessible au paroxysme qu’aux grandes intelligences en création et aux hautes moyennes en réception. Ce que les communautés religieuses d’ici et de jadis ont essaimé musicalement au Québec via Vincent d’Indy, l’École Normale de musique etc. dans les années 30 et 40 où régnaient des guides esthétiques et méthodiques avisées comme soeur Marie-Stéphane nous permet de briller en musique sur la scène internationale comme pas un autre peuple de 8 millions d’habitants sur cette planète (peut-être la Corée du Sud mais ils sont plus nombreux que nous). Allez me trouver un peuple qui ait autant de grands pianistes et chanteurs, autant de grands ensembles orchestraux et qui aurait donné en son sein naissance à un si grand jeune chef que Nézet-Séguin…il n’y a que les Allemands, les Italiens et les Russes pour avoir accompli avec régularité un tel exploit musical. C’est en cela qu’il fait si bon vivre à Montréal sans cherté ni prétention comparé aux grandes capitales, c’est en cela que la métropole des arts de la scène en Amérique c’est ici et Manhattan bien sûr. C’est aussi pour ça qu’il faut veiller au grain de notre richesse culturelle et l’exprimer dans notre belle langue travaillée au fil de cinq siècles de prédominance culturelle française par l’élite aristocratique française de jadis, cela on doit se le redire chaque jour comme le véritable Je me souviens. Voilà enfin le temps venu de me taire et de retourner écouter les prodiges vocaux de la grande musique dont je vous ferai peut-être encore part avec délire un tant soit peu mesuré ou démesuré. J’ai voulu, bien sûr, vous attirer à la salle Bourgie et la Maison symphonique en usant des plus beaux mots séducteurs de mon lexique préféré, mais il faut me pardonner car l’extase et le coup de foudre ont été quotidiens à ce concours international de chant qui est le nôtre et dont Christine Leblanc qui le dirige de main de maître peut être plus que fière du résultat, quelque déception qu’on puisse avoir des résultats mathématiques qui font inclure ou exclure tel ou tel(le)candidat(e) nous ayant ébloui ou non. Il y a enfin, une conséquence à l’élimination au volet Mélodies des pianistes accompagnateurs superbes et prodigieux qu’étaient Jonathan Ware accompagnant Suzanne Fischer (une autre belle voix peut-être trop nerveuse dans son Gretchen am Spinnrade de Schubert): je parle aussi des pianistes-accompagnateurs Jennifer Szeto accompagnant la radieuse Chinoise éliminée Mengxi You, ensuite le pianiste Felix Justin si sensible en dextérité et sobre partenaire de l’excellent ténor Striya Krisna d’Indonésie qui n’a hélas pas passé non plus, et, bien sûr du Québécois Michel-Alexandre Broekaert sans oublier Magdalena von Eccher. Cette conséquence est que leur prix de 10 000 dollars n’est plus accessible qu’à Sebastian Wybrew accompagnant l’excellente britannique Gemma Summerfield, ensuite l’adroit Dokyung Han qui accompagne la superbe soprano coréenne Irina Jae-Eun Park, enfin le réputé pianiste Peter Dugan qui accompagne merveilleusement le baryton revenant ici de la dernière édition, soit John Brancy inscrit aux deux volets du concours puis enfin Joao Araujo comme on le dit en anglais en tant que best collaborative pianist. C’est-à-dire que ce prix de dix mille dollars récompense la meilleure collaboration à l’entreprise de remporter le premier prix et pas nécessairement le meilleur détenteur des talents fort rares de pianiste-accompagnateur en lequel cas trois des quatre meilleurs inscrits en cet art de haute finesse ont été éliminés par vertu d’élimination de leur chanteur ou chanteuse. Mais j’ai tort de mettre si haut la barre et d’exiger toutes les justices. N.B. À quel point l’inattendu et le prodigieux peut-il se produire au concours international de musique de Montréal pour le quidam qui s’y rend par lui-même ou sur mes encouragements délirants de promesses de bonheur? Eh bien voici une anecdote banale mais prodigieuse de richesse inespérée. Vous sortez de la salle Bourgie lors de la pause (entracte) entre les groupes de 4 candidats livrant leur programme de quinze minutes de mélodie pétrie de poésie et d’harmonies célestes, vous avez le coeur encore gros des émotions de tout à l’heure (ou encore d’arias théâtraux comme ils le sont tous!) et un jeune homme vous interpèle pour vous demander votre opinion du concours CMIM en 7 petites questions d’avis personnels. Puis deux minutes plus tard, il vous offre de choisir un CD parmi lesquels vous tombez -l’oeil vigilant- sur un CD idéal pour votre âme affamée de sensations formidables. Ce disque, cadeau impromptu et mirobolant, est une réalisation d’une artiste et pianiste phénoménale qui n’avait que 18 ans au concours de Montréal lorsqu’on l’entendit avec transport immédiat dès qu’elle toucha l’ivoire de son clavier…c’est-à-dire Mademoiselle Béatrice Rana: ce disque c’est l’intégrale absolument inégalée, tous artistes confondus (et je les ai pratiquement tous en ce répertoire précis des Préludes de Chopin), un disque comme ça sur étiquette ATMA (ACD22614). Un cadeau de plus tout simplement vous dites? Soyez plus conscient je vous prie! Mademoiselle Béatrice Rana qui revient souvent, heureusement, jouer à Montréal y dépasse les versions des princes de l’instrument tels Claudio Arrau, Géza Anda. Elle y est même supérieure à Maurizio Pollini, reléguant tous les mâles aux oubliettes et même la légendaire Alicia De Larrocha… sauf un interprète mâle seulement, seul qui reste à présent son égal en cet opus 28 soit le russe Grigory Sokolov (étiquette Naïve, concert live OP30456) . En plus, je vous dirai que ce cadeau anodin qu’il fallait choisir parmi quelques-uns, comporte une électrisante version de la deuxième sonate opus 19 de Scriabine! Pas pour rien que Nézet-Séguin disait de Béatrice Rana qu’elle était la meilleure des pianistes de l’heure, il y a tout juste quelque temps, en préambule d’un concert de l’Orchestre métropolitain de Montréal qu’il dirigeait devant nous au Temple de notre Maison Symphonique! Mais qu’ai-je à divaguer de la sorte? Il ne me faut parler que de chant, voyons-donc, mais justement, Frédéric Chopin si intime avec son ami Vincenzo Bellini savait répéter à qui voulait l’écouter sincèrement, qu’il n’y avait au piano et en musique qu’une chose qui comptait: le chant! Carpe diem !