Dans Shakti Rising, présenté au Collège Vanier à Ville Saint-Laurent, Amrita Choudhury et Barbara Diabo proposent un nouveau paradigme pour lire, naviguer et apprécier le monde autour de nous. Construit à partir de la rencontre métaphorique entre Shakti, puissance créatrice et destructrice dans la cosmologie indienne, et Skywoman, la force créatrice et préservatrice dans les traditions Kanienkeha, cette pièce présente un monde dans lequel la puissance féminine engendre, guide et veille sur les destinées. Bien que ces cultures soient associées à des espaces géographiquement distincts, il n’en reste que des similitudes comme le rejet d’une conception linéaire du temps ou encore de l’individualisme, existent et permettent un dialogue interculturel qui explore spiritualité, culture et résistance.
L’harmonie
C’est avec des prières en Sanskrit et Anishnaabemowin, puis avec des notes de flûte jouées merveilleusement par Pedro Diaz que la pièce débute, faisant de la mélodie un fil conducteur que l’audience s’empressera de suivre. Du son naît le mouvement et la rencontre entre danse et musique. Dans ce tableau intitulé « Création », au-delà de la synchronisation entre les pas d’Amrita Choudhury et les notes de musique, c’est aussi un rappel qui remplit la salle de l’auditorium du collège Vanier: celui de l’harmonie inévitable qui résulte de l’art de savoir écouter, respecter et s’adapter aux murmures et envolées de l’environnement. La technique d’Aditya Verma au sarod, transporte l’audience dans un univers de légèreté et de protection féminine où l’on se sent à l’abris de tous maux. Comme dans un ventre métaphorique, l’audience est conviée à redevenir enfant et à réapprendre ce qu’elle pense savoir.
Traditions
Chaque geste, mélodie et tradition invoquée, constituent des piliers culturels transmis de génération en génération, comme le deuxième tableau, « Préservation », illustre. Barbara Diabo, en tenue traditionnelle kanienkeha, danse aussi bien sur le tambour traditionnel, que sur les accords du sarod. L’importance de reconnaître, respecter et préserver les traditions des cultures et des peuples, est mise en évidence.
Mais c’est une autre trajectoire que le monde dit ‘moderne’ a prise. Celle d’un tourbillon de violence qui force des peuples entiers à renier leur identité et culture pour répondre à des aspirations hégémoniques eurocentristes. « Destruction » est un tableau dans lequel les corps tremblent et se tordent de douleur. À genoux, les bras désespérément tendus vers un salut qui ne vient pas, le corps est pris au piège dans un monde hostile qui nie son humanité. La couleur de peau est un revêtement incriminant et tout insigne culturel une cible potentielle. Mais les corps résistent et refusent de se conformer. Ils s’affirment malgré l’incessante violence qui les afflige.
Cette violence insoutenable est la raison pour laquelle les artistes proposent un nouveau paradigme dans le quatrième tableau, « Re-Création ». Celui-ci ne prend pas racines dans des hiérarchies de pouvoir et d’uniformité universelle, mais plutôt dans la multiculturalité. La création de liens, l’aspiration à un espace où toutes et tous peuvent se sentir libres de vivre leur authenticité, et un sincère respect des savoirs ancestraux de chaque culture, sont les mots d’ordre de cette proposition.
La pièce s’achève avec « Gratitude », une ode aux possibilités d’harmonie, d’échange et de cocréation qui ne peuvent être atteintes que lorsque les cultures s’engagent à se respecter, à accepter une pluralité de visions du monde, et à honorer la terre sur laquelle elles co-existent. L’agréable harmonie sonique de la flûte, du sarod et du kanjira dans ce tableau, vient d’ailleurs renforcer la beauté du message.
Dans un monde profondément marqué par la colonialité et les standards occidentaux, cette pièce permet d’explorer des visions du monde et épistémologies de communautés historiquement marginalisées malgré leur longue et riche histoire précoloniale.
Shakti Rising est plus qu’un spectacle: c’est une invitation à se déconstruire, pour se reconstruire et contribuer à l’harmonie et la solidarité entre les peuples. Après avoir remercié toutes les personnes ayant contribué au spectacle et le public, Amrita Choudhury récitera d’ailleurs une prière pour la paix en Sanskrit et Barbara Diabo une prière en Kanienkeha pour la Terre Mère.
Un spectacle nécessaire.