Où est-on ? Qui sont ces gens ? Qui es-tu toi, dans le fond ? A quelle époque sommes-nous? De quoi ont-ils peur ? De quoi avez-vous peur ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Des questions, on s’en pose tout au long des « Bâtisseurs de l’empire » également connu sous le nom étrange de « Le Schmürz ». Et c’est là que commence la légende de Boris Vian et notre vertige: qu’est-ce que le « Schmürz » ? D’ou vient-il ? Faut-il vraiment le savoir ?
Dès le commencement, on réfléchit, trop sans doute, car on veut savoir, on veut comprendre. Dans ce… monde ? Soyons simple plutôt : dans cet appartement ridiculement petit, où devrais je dire, absurdement petit, on imagine aisément Boris Vian, si versatile et si complexe, jouer avec nous, spectateurs, avec nos nerfs, avec les mots, avec ses personnages.
Parce que voyez-vous, ce n’est pas que l’auteur brouille les pistes, c’est qu’il n’y a pas de piste ! Pas de repère temporel, géographique, on ne sait que penser des personnages, on ne les connaît pas, on ne nous les présente pas non plus. Doit-on les aimer, les haïr ? Peut-on reconstruire leur histoire ? Chaque membre de cette famille est, à sa manière – non, pas fou – mais… excentrique, déphasé. Comme le décrirait Vian lui-même : « Quelle chose étrange qu’une famille ! Une réunion fortuite de gens étrangers, une association absurde. »
Un père une mère et une bonne qui passent leur « temps » à fuir un bruit, qui n’est bien sûr, jamais identifié, n’ont qu’un but : ignorer leur dessein, se raccrocher à une routine de vie complètement aléatoire et surtout, distraire leur fille, qui elle aussi, s’en pose des questions. Beaucoup de non-dits, beaucoup de refoulements, on ne confronte pas ses problèmes, et lorsque l’un d’eux est contrarié, en colère, frustré, il frappe, bat, torture le Schmürz, homme en guenille, rappelant un lépreux, qui est présent inlassablement à chaque étage.
Dans cette tragédie burlesque où les comédiens virevoltent avec aisance au rythme effréné des mots savamment distillés, on prend le temps d’étudier la scénographie qui donne à la pièce toute son énergie et son inquiétude : une sorte de banquise surélevée, dont la surface diminue au fur et à mesure que la famille monte, pour échapper au bruit et à cette lueur verte, dégoûtante qui englouti et tue toute chose ou être vivant qui s’y perd. Serait-ce l’enfer?
On s’attache à Zénobie, l’adolescente, solide Marie-Pierre Labrecque, dont le débit très articulé et un peu trop scolaire, soutient tout de même de manière pertinente la révolte qui l’habite. On s’intéresse de près au Schmürz à qui Sasha Samar, arrive à prêter un charisme et un malaise de plus en plus fort jusqu’au retournement de situation final.
Comprenez-moi bien : l’absurde de cette pièce ne se retrouve pas dans l’histoire, mais bien dans l’attitude des personnages qui nient le présent, oublie le passé et se concentre sur un futur qui ne s’annoncent guère reluisant. Et cette dernière réplique du père que je garderai pour moi, afin de ne rien divulgâcher…
Et je vous rassure : aucune question ne trouve une réelle réponse, sauf dans votre interprétation ; quant au Schmürz, il reste implacablement… là, dans toute la force de son jugement.
«Les Bâtisseurs d’empire ou le Schmürz» est présenté jusqu’au 21 octobre au Théâtre du Denise-Pelletier.
Texte BORIS VIAN
Mise en scène MICHEL-MAXIME LEGAULT
Distribution OLIVIER AUBIN, JOSEE DESCHÊNES, MARIE-PIER LABRECQUE, GABRIEL SABOURIN, SASHA SAMAR, MARIE-EVE TRUDEL
Photo: Gunther Gamper