Véritable triomphe au Palais Montcalm pour la création de l’adaptation en opéra de la pièce de Michel Tremblay, Messe solennelle pour une pleine lune d’été, sur une musique de Christian Thomas. Le public a longuement ovationné les onze solistes réunis sur scène, dont Lyne Fortin, Dominic Côté et Dominic Lorange, accompagnés par Les Violons du Roy. Pour sa part, Alain Zouvi a réussi, de main de maître, à mettre en scène cette histoire d’une très grande intensité qui se déroule sur plusieurs balcons du Plateau Mont-Royal, par un soir de pleine lune. Le génie de Michel Tremblay est ainsi porté à des sommets d’émotion!

Photo fournie par le Festival d’opéra de Québec
La nouvelle mouture opératique de Messe solennelle pour une pleine lune d’été est beaucoup plus percutante que la pièce de théâtre que j’ai vue lors de sa création chez Duceppe, en 1996. Même si je n’ai pas oublié certaines images très fortes de ce spectacle, dont celles du tango que dansaient Michel Dumont et Jean-Louis Millette, je dois dire que l’oeuvre est aujourd’hui mise en valeur, comme jamais auparavant, grâce à la partition de Christian Thomas qui a conçu des airs puissants pour chacun des protagonistes.
Comme il se doit, cette messe en 14 parties s’ouvre avec l’Introït. D’entrée de jeu, les personnages parlent de météo («Mon Dieu qu’y fait beau!»). On s’en doute, ces propos cachent un malaise intérieur chez ces écorchés qui portent de profondes blessures. Leurs tiraillements se reflètent d’ailleurs dans la musique tourmentée de Thomas. Tous vont se vider le coeur et exprimer ce qui les fait souffrir. Déjà, à travers le Kyrie, ils supplient la vie, ou la lune, de leur accorder un apaisement.
Dans l’Exultate, ces adeptes de balconville qui s’ennuient, vont épier les ébats du seul couple heureux de leur entourage, interprété par le ténor Jean-Michel Richer et la soprano Magali Simard-Galdès. Ces jeunes amoureux apportent un peu de légèreté dans cet univers trouble.
Dans le Dies Irae («jour de colère», en latin), on découvre l’horreur qui s’est installée entre un père infirme et sa fille qui ont développé une relation incestueuse. La basse Alain Coulombe et la soprano Chantal Parent sont de saisissants interprètes de cette relation toxique.
De leur côté, les lesbiennes Jeannine et Louise voient leur relation amoureuse de longue date péricliter et même se transformer en moments de violence. Jessica Latouche, soprano et Ariane Girard, mezzo-soprano, ne parviennent toutefois pas à nous faire sentir pleinement l’amertume et l’agressivité qui se sont installées entre elles.
En cette nuit de chaleur suffocante, ces balafrés laissent sortir les mots qui expriment leur ras-le-bol. C’est ainsi qu’une mère confesse son incompréhension face à son fils homosexuel. Comment un homme peut-il vivre une peine d’amour à cause d’un autre homme, se demande-t-elle. La contralto Priscilla-Ann Tremblay et le baryton Patrice Côté incarnent avec justesse ce genre de conflit qui a longtemps miné de nombreuses familles québécoises, notamment.

Photo fournie par le Festival d’opéra de Québec
Quant au ténor Dominic Lorange et au baryton Dominique Côté, ils personnifient un couple gai. L’un d’eux est gravement malade. Plus encore, l’infidélité s’est immiscée dans leur amour. Malgré tout, ils danseront une sorte de tango de la réconciliation, au son du grand orgue, instrument emblématique de la messe. C’est là une scène majeure du spectacle où la musique vient, une fois de plus, maximiser l’émotion!
Pour sa part, la soprano Lyne Fortin est bouleversante en Veuve dont le mari est récemment décédé. Le Lacrymosa qu’elle interprète est l’un des meilleurs morceaux de cette partition. Parmi les autres prestations vocales remarquables de cet opéra, on retiendra celle de la basse profonde Alain Coulombe.
La musique de Thomas traduit l’univers dramatique de Tremblay
Précisons qu’il ne s’agit pas, ici, d’un spectacle de théâtre auquel on aurait intégré des parties chantées. Toute l’oeuvre est habilement mise en musique par Christian Thomas et interprétée avec nuances par Les Violons du Roy, dirigés par Thomas Le Duc-Moreau. Mention spéciale au percussionniste André Dufour, installé au-dessus de l’orchestre. Ce multi-instrumentiste ponctue le récit d’images musicales dramatiques qui contribuent largement à nous plonger dans l’univers de Tremblay.
En plus de nous raconter des tragédies humaines très vraisemblables, avec une extraordinaire sensibilité, Tremblay le fait, une fois de plus, en québécois. Qui aurait dit qu’un jour des voix d’opéra chanteraient pareilles répliques : «Ch’tannée de ramasser ta marde!» ou «On se crosse dans ce temps là!»
Cela dit, ce texte a le grand mérite de laisser chaque personnage s’exprimer au sujet de ses propres failles. Ce n’est pas toujours le cas dans l’oeuvre colossale de ce monstre sacré de la littérature québécoise, où plusieurs protagonistes, surtout masculins, sont parfois jugés et condamnés en leur absence.
Enfin, la beauté de cette Messe réside aussi dans l’ingénieuse mise en scène d’Alain Zouvi qui a su mettre en valeur tous les solistes. Même si plusieurs drames sont racontés et vécus en 90 minutes, le récit demeure limpide. Ajoutons que les balcons de fer forgé, imaginés par le scénographe Jean Bard, aident à situer les protagonistes et s’avèrent d’une grande efficacité!

Photo fournie par le Festival d’opéra de Québec
À tout seigneur, tout honneur! Quand le dramaturge Michel Tremblay, le compositeur Christian Thomas et le metteur en scène Alain Zouvi sont montés sur scène, à la fin de la première représentation de l’oeuvre, samedi après-midi (29 juillet), la foule s’est levée d’un bond et on a senti un grand frisson traverser la salle! Moments mémorables!
Saluons le Festival d’opéra de Québec pour son audace! Deux autres représentations sont à l’affiche.
Messe solennelle pour une pleine lune d’été
Opéra en un acte
Musique et livret de Christian Thomas
D’après la pièce de Michel Tremblay
Au Palais Montcalm
29 juillet à 14h
31 juillet et 2 août à 19h 30