L’histoire se déroule au 27, rue de Fleurus à Paris, où Gertrude Stein (1874-1946) et sa conjointe Alice B. Toklas tenaient un célèbre salon, visité par des artistes qui allaient devenir les plus célèbres du XXe siècle. En fait, dès le prologue de cet opéra de chambre en 5 actes, c’est Alice qui évoque le monde qu’elle partageait avec son amoureuse, en reconstituant les souvenirs de leur passé.
Au premier acte, on saisit le pouvoir de Gertrude, l’influenceuse dont les artistes recherchaient l’appui, alors que Picasso dévoile le portrait qu’il a peint d’elle et que cela rend jaloux Henri Matisse. Passent les années. Madame continue d’écrire, alors que la nourriture se fait de plus en plus rare dans la capitale française, durant la Première Guerre mondiale. Née aux États-Unis, elle jouera de cette corde pour convaincre un soldat américain, de lui fournir du charbon et des cigarettes, en plus d’aller lui acheter des oeufs. Le jeune homme ne reviendra toutefois pas de cette course et ira, de ce fait, s’ajouter au contingent de la «Génération perdue» (une expression qui aurait été développée par madame Stein). Voilà pour le contexte, mais c’est surtout l’histoire d’amour de Gertrude et Alice qui se trouve à l’avant-plan du livret du Canadien Royce Vavrek
Cela dit, même si de brillants artistes s’amènent au salon, le vocabulaire de cet opéra en anglais avec surtitres en français et en anglais demeure au ras des pâquerettes. Alice tricote et elle chante «une maille à l’endroit, une maille à l’envers». Elle ouvre la porte aux invités, leur sert à boire, etc. Elle chante qu’elle fait tout le sale boulot mais qu’elle en est heureuse aux côtés de son amoureuse qui elle, l’appelle: «mon homard, mon gâteau». Le soir de la première, la mezzo-soprano Christianne Bélanger (Gertrude) et la soprano Elizabeth Polese (Alice) se sont montrées très convaincantes dans leurs nombreux duos d’amour. Leurs voix se marient bien et l’accompagnement au piano et violoncelle sert admirablement ces moments d’intimité.

Crédit photo : Yves Renaud
Là où ça se gâte, c’est qu’après la Première Guerre, Gertrude invite des écrivains dont les rôles sont réduits à de la bouffonnerie. C’est ainsi qu’Ernest Hemingway et F. Scott Fitzgerald en viennent à lutter, chacun espérant être le vainqueur, pour que Gertrude le déclare «génie». Ces grands penseurs présentés comme de pauvres assoiffés de célébrité dépendants de madame Stein ? Malaise !
La musique de l’Américain Ricky Ian Gordon accompagne le propos, mais ne semble pas tenir un discours en elle-même. Elle a été adaptée pour piano et violoncelle. Impossible, donc, d’évaluer l’orchestration originale en détaillant ce que les cordes, les bois ou les cuivres auraient pu apporter aux différents personnages. Cela dit, chapeau à la pianiste Marie-Ève Scarfone et au violoncelliste Stéphane Tétreault qui sont à l’oeuvre durant tout le spectacle de plus de 90 minutes et toujours à l’écoute des chanteurs. Parmi eux, le baryton-basse Brenden Friesen (Hemingway) et le ténor Rocco Rupolo (Picasso) se démarquent par leur aisance vocale. À noter que les rôles de Gertrude et Alice sont confiés à Rose Naggar-Tremblay et Andrea Núñez, les 24 et 31 mars.

Crédit photo : Yves Renaud
Pour ce qui est de la mise en scène d’Oriol Tomas, elle insuffle un peu d’action à cette histoire somme toute assez statique. Bonne idée d’avoir placé des chanteurs derrière des tableaux comme si ces derniers chantaient, rappelant que ces œuvres sont vivantes. En résumé, «Twenty-seven» est porté par de bons chanteurs et musiciens et constitue une belle occasion de s’intéresser à une influenceuse qui a su marquer l’imaginaire, bien avant que ce mot ne soit à la mode.
Twenty-Seven
Opéra de chambre en 5 actes
Musique : Ricky Ian Gordon
Livret : Royce Vavrek
Langue : en anglais avec surtitres français et anglais
Création : St.Louis, Opera Theatre of St.Louis, 2014
Mise en scène : Oriol Tomas
Présenté par l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal
Piano et direction musicale : Marie-Ève Scarfone
Violoncelle : Stéphane Tétreault
Au Théâtre Centaur, jusqu’au 31 mars