Mon voyage en Corée du Nord m’a enseigné que la meilleure façon d’apprendre sur un autre pays (et surtout sur mon propre pays) est de m’y rendre et de voir de mes propres yeux.
Voyager en Corée du Nord exige une bonne préparation, de sorte que vous devez vous assurer de ne pas être atteint de l’ébola, de n’apporter aucun matériel religieux, d’être respectueux vis-à-vis les divergences politiques. Tout ceci fait partie du processus. Obtenir un visa est facile si toutes les cases appropriées sont cochées et les conditions remplies. En fait, le chemin le plus difficile vers la République populaire démocratique de Corée est l’opposition que j’ai rencontrée de la part des amis et connaissances. Le discours que j’ai entendu a été le même: ils ont tous questionné ma santé mentale et se sont inquiétés pour ma sécurité.
Mon plan a été jugé insensé, dangereux et irresponsable. Je me suis fait raconter les pires histoires sur les camps de concentration en Corée du Nord, les tortures, les tactiques de la gestapo, l’écoute électronique et la surveillance, les ruses de tous types, et la disparition de gens dans des trous d’enfer aussi bien que des exécutions sordides par mortiers ou artillerie antiaérienne. J’entrerais dans un monde rébarbatif de grisaille et de dépression universelle, dépourvu de rire ou d’humour où les gens étaient coincés et incapables de voyager, où il n’y avait aucun équipement moderne, et tout cela de la part de gens qui n’avaient jamais frôlé le sol de la Corée du Nord!!
Le niveau de désapprobation (accompagné d’expressions faciales sidérées) et rempli de réactions émotionnelles était au-delà de quoi que ce soit que j’aie expérimenté. Étais-je naif de penser que je pouvais passer 8 jours en visite en Corée du Nord, en partie à vélo, et capable de revenir à mon monde en Californie? Seul le temps le dirait.
Mon organisatrice de voyage était Andrea d’Uri Tours de New Jersey. Je l’ai rejointe environ 20 jours avant de prendre ma décision d’y aller. Elle a été une ressource immense pour l’obtention des documents requis et m’a informé sur les particularités de ma visite en Corée du Nord.
J’étais content de savoir que je serais dans un tour avec une seule personne, en l’occurence moi-même, exempt du babillage des autres touristes ou de ce sentiment de faire partie d’un bétail. Elle a aussi organisé ma visite partielle à vélo. J’aime explorer le monde de la perspective d’un vélo ce qui donne un rythme permettant d’absorber et d’apprécier l’information.
J’ai rencontré Yuan mon contact à l’aéroport de Beijing avait de prendre le vol pour la Corée du Nord. Yuan m’a remis mon visa, une simple feuille de papier pliée de la grandeur de mon passeport avec le logo de la Corée du Nord sur le dessus, une signature et une date à l’intérieur. Cela m’a paru facile, trop facile… Peut-être que tous les avertissements étaient vrais, j’ai été attiré dans une place dangereuse, un piège et je serai détenue pour la vie.
J’ai fait la queue avec Yuan devant le comptoir d’embarquement d’Air Karyo, la compagnie aérienne nationale de la Corée du Nord. Je tressaillais d’excitation. J’étais curieux des gens autour de moi; après tout, j’apercevais des citoyens nord-coréens pour la première fois. Certains riaient, faisaient des blagues ou embrassaient leurs proches. Les enfants turbulents s’accrochaient à leurs parents. Ça aurait pu se passer au comptoir de United Airlines à LAX; il n’y avait aucune différence. Sans doute n’étaient-ils pas des nord-coréens à moins qu’ils aient été des transfuges (des acteurs) sur les antidépresseurs. J’ai demandé à Yuan si ces gens étaient des nord-coréens. Elle m’a regardé ébahie et a dit: Oui, ils voyagent!
Je me suis rendu à la porte d’embarcation où je m’attendais à voir un avion d’une autre époque qui m’emmènerait dans ce trou d’enfer qu’est Pyongyang, un vol de 2 heures. J’ai éclaté de rire lorsque j’ai vu une partie de l’aile et du fuselage de l’aérogare. C’était un Boeing 757. Air Karyo pouvait-elle piloter des avions faits aux Etats-Unis? J’étais perplexe. Je croyais qu’il y avait des sanctions contre la Corée du Nord. Je connais très bien le Boeing 757, je suis un pilote de ligne commercial depuis de nombreuses années…
Une fois à l’intérieur, j’ai constaté qu’il ne s’agissait pas d’un Boeing 757 mais bien une copie russe exacte du TU-204-300. Ils m’avaient dupé. J’ai montré à l’agent de bord mon identifiant de pilote de ligne et demandé de rencontrer le commandant de bord. Il s’agit d’un code d’éthique professionnel commun entre les pilotes. Des agents de vol aux allures sérieuses m’ont rapidement escorté à mon siège. Une rencontre avec le commandant de bord n’était pas possible, semble-t-il. Un autre point important: le transporteur coréen possède une section première classe. De toute évidence, leur système égalitaire ne s’applique pas à 35 000 pieds dans les airs.
Une fois arrivé à Pyongyang, l’immigration a été sans effort et sans douleur. Mes guides m‘attendaient. Je n’ai pas été difficile à identifier. Ils avaient reçu ma photo et j’étais un de deux caucasiens à bord du vol. Le conducteur ne parlait pas l’anglais mais Ms. Soe et M. Lee (mes deux guides) parlaient un anglais parfait. Ils m’ont accueilli chaleureusement avec de beaux sourires.
Durant les huit prochains jours, nous nous familiariserons les uns les autres en riant, chantant au karaoke, buvant de la bière, parlant de la vie, de politique, de philosophie et en partageant des repas et des piques-niques. Ils m’ont guidé, protégé, et fait en sorte que je ne manque de rien. Tous les trois étaient persuadés que j’étais un espion américain et m’ont demandé quelle était ma mission. Cela faisait l’objet constant de plaisanteries. J’annonçais au hasard mes vraies intentions et prétendait que j’étais en Corée du Nord pour trouver le secret de la culture du riz ou de la fabrication du kimchi parfait.
Pyongyang est une jolie ville bordant la rivière Taedong avec des parcs et des pistes cyclables. Les agents de la circulation sont pour la plupart de jolies femmes en uniforme avec des mouvements robotiques de la tête et des bras assurant ainsi la circulation en douceur. Le métro situé à 360 pieds sous le sol, est un des plus profonds au monde et peut aussi servir d’abri contre les bombardements.
Ma première impression a été cette absence d’activité commerciale. Aucune panneau d’affichage, aucune publicité, aucune indication de la présence d’un restaurant dans un bâtiment quelconque. Tout appartient à l’État, il n’y a pas d’entreprise privée. On s’occupe des gens du berceau à la tombe. Les soins de santé, le logement, l’éducation et la plupart des transports sont gratuits (le Métro coûte un sou).
Il y a peu d’automobiles privées et la circulation est la cause de peu de problèmes. Mais les routes sont en mauvais état ainsi que les infrastructures. Tous les jours, je me suis retrouvé coincé dans un ascenseur à cause des pannes de courants et parfois, il n’y avait pas d’eau dans ma chambre d’hôtel. Personnellement, je considérais qu’il s’agissait de contretemps mineurs qui font simplement partie de la vie dans un pays en développement. Pour véritablement se plonger dans une autre culture, il faut supprimer ses lunettes occidentales, – eurocentriques – et capitalistes et permettre à une feuille de route différente d’exister. Mon objectif n’était pas de confronter, de défier ou de tenter de faire changer les esprits; j’étais en Corée du Nord pour observer et essayer de comprendre.
J’ai pris les repas dans les restaurants touristiques gérés par l’État et j’ai été satisfait par la nourriture. Ils ont été courtois et m’ont accommodé avec des plats végétariens. La nourriture coréenne se décrit en trois plats: le kimchi, les sobas froids et le bibimbap. Mais j’y ai vu une variété de saveurs et de plats au-delà de ces trois plats incluant le poisson, le riz frit, le tofu délicieusement mariné.
J’ai demandé et reçu les enseignements sur les bonnes manières coréennes à table et j’observais de près les façons de faire des autres convives. Devrais-je utiliser mes baguettes pour transférer la nourriture du plat commun à mon assiette? La réponse, oui. J’ai aussi remarqué que les verres étaient remplis jusqu’au bord par les autres, et que même lorsqu’on trinquait, le clic entre les verres avait son importance. Le statut et le respect étaient accordés par le fait que les verres de mes convives venaient en contact avec le mien près de la base.
On m’a interdit l’entrée dans les épiceries mais de ce que je pouvais voir des fenêtres, les étagères n’était pas pleines. La nourriture de base semblait être disponible mais peu variée. J’ai rarement vu de fruits et je me suis fait dire qu’on les mangeait comme collation. Dans les années 90, la Corée du Nord a connu une famine qui a fait des morts. L’effondrement de la Russie et la pénurie de céréales en Chine en sont responsables, mais le gouvernement nord-coréen blâme les Etats-Unis. Aujourd’hui ils travaillent forts à bâtir un secteur agricole autosuffisant afin de prévenir qu’un tel drame se répète.
Aucun doute, la République populaire démocratique de Corée est dans un état de préparation de guerre. Tous les jours nous avons été arrêtés à des postes de contrôle pour nous identifier. Les militaires sont une partie intégrante de la société, ils sont respectés (et craints) et sont les seuls responsables pour toute construction et infrastructure. Le message est d’autant plus clair pour la population; les méchants impérialistes Américains n’ont qu’un objectif, soit de détruire et d’écraser leur pays. Toutes les précautions ont été prises pour contrer cette menace mais comme pour nos complexes militaires, cette peur est utilisée pour créer une dépendance vis-à-vis du gouvernement et pour consolider le pouvoir.
Dans la zone démilitarisée, un officier m’a dit que si les Etats-Unis font quoi que ce soit à la Corée du Nord, Hawaii serait effacée de la carte de la Terre. Ce genre de claquement de sabre n’est pas rare aux Etats-unis non plus – nous avons notre part de bellicistes. Nous avons reçu l’instruction de ne pas pointer, agiter ou mettre les mains dans nos poches. Courir vers la ligne de division des Corée pourrait avoir comme conséquence de se faire tirer. Mon guide m’a dit que les Coréens du Sud tireraient en premier.
La République démocratique populaire de Corée enseigne aux enfants de la maternelle que l’Amérique est un état voyou, sans morale, prêt à utiliser les armes nucléaires contre les civils. Des affiches choquantes sont sur les murs et montrent des atrocités commises par les machines de guerre américaines. Pas surprenant qu’une réaction viscérale de haine se manifeste lorsque vous vous identifiez comme Américain.
Malgré la position militaire, l’axe du mal que mon gouvernement vend et dont nos médias font la promotion n’est pas ce que j’ai vécu là-bas. Nous nous délectons dans la dévaluation et la raillerie de ceux qui ne suivent notre mode de vie ou que nous percevons comme ringard. C’est regrettable. J’ai vu des familles marchant et dansant dans les parcs, des amoureux s’embrasser et se tenir la main, des enfants faire du patin sur des patinoires, des couples excités de se marier et des enfants fiers de jouer de leurs instruments de musique dans des centres parascolaires nommés – Palais de jeunesse – .
Il s’agit d’un état athée mais la plupart des religieux radicaux aux Etats-Unis s’inclineraient devant leurs normes morales avec l’absence d’avortement, de rapports sexuels préconjugaux, de concubinage, de tolérance vis-à-vis l’homosexualité, et il y a peu de divorces. Il s’agit simplement de retirer le mot Dieu et de le remplacer par Kim Jung Un – les différences sont alors minimes.
Le crime est inexistant. Les gens sont en sûreté dans leur résidence et en public mais ils craignent le monde extérieur. Nous, en Occident, avons la vue opposée. Nous craignons les voisins et les étrangers mais rarement avons-nous peur qu’une armée étrangère envahisse notre pays. Les enseignants sont tenus en haute estime et reçoivent les meilleurs logements. Je me suis laissé dire que la liberté de religion existe en République populaire démocratique de Corée et comme preuve, j’ai en effet vu des églises de confessions différentes. Mais j’ai cette impression que ces églises sont l’équivalent de dire que le racisme est éliminé aux Etats-Unis parce que nous avons eu un président noir.
Le gouvernement nord-coréen a une prise d’étranglement sur l’information, par conséquent l’accès internet est très limité. Ce qui est disponible est filtré. C’est l’équivalent de vivre dans un monde où il n’y a qu’une chaîne de nouvelles et un seul parti politique. Trois gouvernements dirigent les réseaux de télévision avec un contenu presqu’uniquement patriotique. J’ai regardé à la télé pendant des heures de jolies femmes en uniforme proclamant de façon bien orchestrée leur soumission totale à l’état avec des chansons et des musiques.
La population n’est au courant que des démons de l’occident, peu des bons aspects. Ils connaissent le profilage racial, le meurtre des Noirs par la police blanche (ils se souviennent de chaque incident par coeur), des manifestations violentes, et comment les policiers attaquent sauvagement les manifestants. Ils voient notre système comme l’exploitation des travailleurs par les riches. Ils croient avoir trouvé l’utopie et vivent au paradis. Ils veulent une péninsule coréenne unifiée avec un seul gouvernement et deux systèmes, un nord socialiste et un libre marché au sud. Quelle contradiction – un gouvernement et deux systèmes. Pourquoi voudraient-ils deux systèmes si le leur est le meilleur? La réponse est simple, s’attendre à ce que la Corée du Sud change est improbable.
Quand je raconte mon expérience aux gens qui m’ont mis en garde de venir en Corée du Nord, je me rends compte que certains ne veulent rien entendre de ce qui ne correspond pas à leur idée. Ils n’ont ni la patience et se défilent. D’autres voient mon séjour comme un pacte avec l’ennemi et m’ont retiré comme ami. La propagande est des deux côtés, nous diabolisons ceux qui refusent d’être nos marionnettes et de leur côté, seule une perspective négative et étroite de l’Amérique est proposée.
Mon dernier jour en Coré du Nord a été très émouvant, alors que je disais adieu à mes deux guides, nos yeux se sont remplis de larmes. Nous étions issus de deux mondes différents et nos chemins s’étaient croisée brièvement, il était maintenant temps de retourner à nos univers respectifs. Nous avions trouvé des bases communes indépendamment des histoires méchantes que nos gouvernements véhiculent et nous avons appris une précieuse leçon: les gens ordinaires qui partagent une tranche de vie est le premier pas pour la paix durable.
NDLR: Carl a fait le voyage en Corée du Nord en 2015.