Barbara , film d’images en primeur au Festival Cinémania
Voici un film d’images captivant portant sur Barbara la chanteuse et musicienne que la majorité des Québécois a boudée. Il ne se targue en rien d’être un condensé biographique, mais seulement d’offrir une percée modeste vers son for intérieur, via quelques fragments des chansons et de la musique de Barbara qu’on voit le plus souvent rêvassant au piano.
La beauté de ces montages élucide l’art de la création d’un air à embellir par des
paroles, toujours adaptées à la musique primordiale. Au travers de cette pratique
des tâtonnements musicaux et poétiques, on laisse entendre l’authentique voix de
Barbara et forcément, par mimétisme et projet cinématographique, la voix de celle
qui la simule et l’incarne. Cette imagination, de ce qu’a pu être l’éclosion d’une
oeuvre musicale chantée, réjouit le coeur de toute personne aimant le cantabile des
sonorités mélodiques et harmoniques du piano. Et il faut être sensible à la grande
poésie. On perçoit Barbara s’attendrissant du mariage parfait entre le verbe et la
musique.
Dès les premières scènes, on voit par une mise en abime (on feint de filmer un film
se faisant sur Barbara) l’artiste au coeur blessé et à l’âme torturée cherchant un
lieu -ne serait-ce qu’une chaise!- pour se poser, dans ce qui est conçu comme devant
représenter l’intérieur de son domicile. Elle ne reste pas en place, elle bouge et
déambule sans cesse. Elle n’a pas le repos du corps (encore moins celui de l’âme
contemplative).
-Arrêtez-vous ici s.v.p., j’ai besoin de marcher… l’entend t-on ordonner à un
chauffeur de taxi parisien parvenu au bord du canal saint Martin. Elle descend.
Pour qui a vécu un tant soit peu à Paris, les effluves de l’air parisien de ces
arrondissements excentrés, la grisaille de la ville-lumière nous reviennent en
mémoire… le visage haussmanien des immeubles et avenues de ces promenades, on
imagine sa silhouette de femme en noir au coin de la rue et les détours des balades
de cette promeneuse ou rêveuse solitaire. Barbara était-elle la Duras de la chanson?
Après la composition de sa musique, on revoit maintes fois Barbara repartie en
quête des mots adaptés aux humeurs des ritournelles, on la voit sourire d’avoir
trouvé les rimes agréables aux modulations de celle-ci.
Fragments épars d’une vie malaisée de solitude profonde.
Le film de Mathieu Amalric n’expose que quelques épisodes de la vie éprouvante,
tragique de cette grande interprète, née sous le nom de Monique Serf en 1930. On se
réjouit de ses rencontres un peu évoquées dans le film, notamment l’amitié avec le
chorégraphe Maurice Béjart, celle aussi avec le chansonnier Jacques Brel.
En contrepartie, absolument rien n’est exposé, ici, de sa véritable lutte
d’artiste angoissée pour être écoutée, entendue, reconnue car elle galère chaque
soir, sifflée partout, pendant plus de quinze ans. Omission aussi des quelques
années entières à laver la vaisselle pour gagner son pain, avant de connaître un
quelconque succès. Rien de ces débats-là dans ce film qui ne veut en rien
amoindrir la taille de son idole pour la rendre plus disloquée, marginale, humaine
fille de galérien…seulement l’évocation de l’âme créatrice dont le portrait
d’ensemble rappelle le désespoir du film magnifique Les nuits fauves…de Cyrille
Collard, cette autre épave.
En somme, il s’agit d’un film se faisant sur Barbara (jouée, chantée, récitée
magistralement par Jeanne Balibar) dans un bel appartement parisien (ou de Neuilly
où elle a longtemps vécu) avec comme premier tapis d’envol magique un grand piano à queue brun, un Gaveau. La voix de Jeanne Balibar, en ses inflexions, tout comme sa
prestance physique et son visage se confondent presque parfaitement avec les
gémissantes mélopées et les soupirs angoissés de la vraie Barbara. Quelques
réminiscences de ses spectacles intimes à L’Écluse (à deux pas du Théâtre du
Châtelet) sont collées en compartiments successifs comme s’il s’agissait d’un convoi
de tournée où un mince public de fidèles accourt, comme partout en province, en pur
émoi, vers elle.
Musicienne et sublime parolière de la vieille France qui nous a donné tant
d’inoubliables grands noms de la chanson au vingtième siècle, certes, Barbara
méritait mieux que 97 minutes bien trop brèves et partielles à mon avis. On eût
souhaité un film plus percutant sur le plan biographique, soit plus ample soit plus
incisif en aveux de faiblesses. Même le déchirement des années familiales à fuir les
nazis ou les complices des piètres faux-sauveurs de la nation vaincue à plates
coutures soit les Pierre Laval, Joseph Darnand et Philippe Pétain, enfin on aurait
aimé une allusion, ne serait-ce qu’en simples clichés photographiques de sa
naissance au sein d’une famille d’immigrants russes (nés en Moldavie et en Ukraine
jadis des parties de la vieille Russie tsariste).
Après les persécutions réelles d’une chasse à l’homme et l’enfant sous l’Occupation, ce n’aurait pas été rien de voir aussi ses difficultés d’adaptation aux exigences de l’opéra au Conservatoire de musique où elle étudia et chanta les mélodies sensationnelles de Duparc, de Fauré et de Chausson (quel formidable corpus si formateur de toute âme artistique!), hélas! tout cela nous est ôté. Le résultat est tout de même assez beau et très émouvant, mais je me surprends d’en revouloir bien davantage!
Un film très récent sur Dalida nous offrait une vision biographique par étapes de son
parcours tout aussi émouvant. Ici, ce n’est pas continûment le cas, il y a des
longueurs, mais on conçoit que l’anniversaire, le 24 novembre prochain de son décès,
survenu en 1997, est le prétexte de la parution cet automne d’une foule d’ouvrages
sur Barbara disponibles en librairie ces jours-ci, momentum auquel fait écho ce film
d’Amalric.
Le parcours de la vie mouvementée de Barbara ne bénéficie donc que de quelques
images par films d’archives et de ces allusions discrètes voir timides de quelques
reconstitutions la faisant piétiner dans les rues du Red light de Namur en
Belgique… Piaf eut donc, en ce milieu, une suivante de talent, envahie de ces
ombres spectrales des milieux de la prostitution… Songeons aussi à ces fragments
de sa vie itinérante en tournée perpétuelle, avec ses lieux glauques, la multitude
de ses résidences car elle déménageait sans cesse. Doit-on vraiment se contenter des
images des quêtes d’applaudissements, celle des salles de province vu les tournées
incessantes et la vie de nuit que celles-ci imposent? Tout n’est pas en faveur d’une
sympathie inconditionnelle envers Barbara. Son caractère lui fait refuser, en
province, un pianoforte authentiquement mozartien avec grand décor peint pour
l’exigence stricte d’un éternel piano noir. Madame ordonnait impérieusement.
On glisse aussi sur ses amours: très peu d’élaboration sur ses compagnons et ses
assistant(e)s endurant ses nombreuses crises d’écorchée vive et l’accompagnant au
respect de toutes ses exigences de caractère difficile. Le film est en couleurs
mais on le perçoit presque essentiellement en noir et blanc, avec les zones grises
d’une femme déchirée, aux crises nerveuses nombreuses, aux tentatives de suicide.
Le Vésinet ne figure pas épisodiquement ou par exception que dans sa vie de sans
domicile fixe, mais il est une prison dont elle ne sort pas plus que les détenus de
Fresnes, cette prison où elle se rend fréquemment chanter pour les détenus qu’elle
a à coeur de distraire.
Amie de la chanteuse québécoise Pauline Julien (que les jeunes Français ne
connaissent pas plus que les jeunes Québécois ne connaissent Barbara) qu’elle a
fréquentée dans les années 50, rien n’est dit de ses nombreuses tournées au Canada
car elles furent marginales, bien sûr.
Sans doute, il faut le dire, Barbara n’a pas eu au Québec le succès et la popularité
d’autres grandes figures de la chanson française. Cet état de fait tient à sa
noirceur, à la teneur mélancolique fredonnante et très frétillante de sa voix sombre
grasseyant les r, ce dont on avait une variation ou incarnation bien antérieure à
elle, une chanteuse bien de chez nous -quoique elle ne fut qu’interprète- je nomme
ici Renée Claude, bien mieux connue et plus suivie ici et surtout bien avant que
Barbara n’ait quelque carrière retentissante qui soit.
Des parolières musiciennes et chanteuses françaises appelées aujourd’hui
auteur(e)-compositeur(e) interprète, Véronique Sanson (rappelons-nous l’album
chef-d’oeuvre absolu intitulé Amoureuse et celui intitulé De l’autre côté de mon
rêve) eut -quoique beaucoup plus tard- beaucoup plus de succès au Québec que
Barbara. Même Dalida dont la voix n’était pas riche de ces velours comme les
détenait celle de Barbara eut une plus grande carrière qu’elle ici. Mais surtout, il
faut le dire, les voix de France étaient nombreuses à la supplanter largement ici,
en popularité en tout cas: l’incomparable et tant oubliée Frida Boccara (la seule
interprète à avoir égalé la puissance et la richesse de la voix de Piaf)
merveilleuse demoiselle du Levant, puis celle à la voix éminemment subtile, juste,
forte, bouleversante et phénoménale qui fut Nana Mouskouri dont la carrière mondiale ne tient pas seulement aux Parapluies de Cherbourg que personne n’a mieux chantée qu’elle…
En fait, le sort de Barbara, ici, fut plus ou moins celui aussi de Françoise Hardy au Québec. Un succès d’estime, sans plus, car le Québec a eu de fantastiques interprètes féminines moins marquées (ou traumatisées) par leur drame personnel, capables donc de faire rire aussi au pays de Monique Leyrac. Accueillir Barbara, pour nous, c’était un effort, sans aller de soi, pour de modestes hâbleurs très gaillards, c’était déjà beaucoup. La voix de Barbara était trop frêle, remplie d’une telle noirceur, d’une telle tristesse, ses décors et perpétuels habits sombres, son piano noir, ceci n’a rien pour séduire la jovialité naturelle et sylvestre des Québécois qui préféraient celles des interprètes faisant l’impasse sur leurs déchirements tragiques, personnels et intérieurs. Le drame de L’Aigle noir est très dur à avaler et il y en a bien d’autres chez Barbara.
Mais ce film vraiment très émouvant d’Amalric sur Barbara en portera plusieurs à se
pencher sur la biographie tragique de cette femme socialement engagée et qui n’est
pas l’idéal de la femme des Québécois, loin de là. Mais la richesse de sa
contribution à la chanson française lui vaut une admiration durable sans omettre
ses engagements pour Act-Up Paris, déjà d’un courage humaniste magnifique. Le
parolier Luc Plamondon avait travaillé avec Barbara et il l’a généreusement aidée à
un moment de grande panne créatrice quoique celle-ci, en 1983-1984, malgré tout le
temps passé par Plamondon avec elle, refusa de l’en remercier à l’issue d’un
concert-ce qui, rappelons-nous-le, fit un grand esclandre à Paris car Plamondon,
choqué de cette omission volontaire… explosa et l’insulta à hauts cris, en plein
concert, notamment de l’épithète «d’ingrate» , entre autres, mots de rage hurlés
tout haut en pleine salle!
Le personnage de Barbara est fort complexe et Amalric qui fait à peine allusion à la
profondeur de la blessure de l’inceste dont elle fut victime, ne met pas l’accent
sur une seule des nombreuses tragédies de cette déracinée et pourchassée par la
milice française sous Pétain. La biographie de Jacques Touvier est sans doute celle
qu’il faut lire. Le personnage d’admirateur que joue Amalric dans le film n’ajoute
fictivement rien de substantiel au tableau d’ensemble.
En attendant, réécoutons ses merveilleuses poésies mises en musique, pardon, je me
corrige, c’est fort probablement l’inverse, retournons plutôt à l’audition de ses
mélodies sur lesquelles des mots déchirants se greffent.
Barbara
97 minutes. France. Réalisation: Mathieu Amalric. Interprètes: Jeanne Balibar,
Mathieu Amalric.
Coup de coeur du Festival Cinémania
Salle de l’impérial samedi 4 nov. 19h30, dimanche 5 nov. 12h00