Anglesh Major brille de mille feux dans King Dave, ce solo mémorable d’Alexandre Goyette qui raconte la terrible descente aux enfers d’un jeune homme basculant dans l’engrenage de la violence. À l’aise dans le comique et le tragique, le comédien nous fait entrer dans cette histoire fracassante comme si c’était la sienne. Il faut dire que Major et Goyette ont remanié ensemble le texte de Dave 1er, de sorte que les jurons de Goyette font ici place à un slang où surgissent certains mots créoles. Compte rendu du nouveau King Dave à l’affiche chez Duceppe.
Première constatation : même si King Dave est joué par un Afro-Québécois, il ne s’agit pas pour autant d’une pièce sur le racisme. Oui, le nouveau Dave est victime de racisme. Il rencontre des voyous qui voudraient le voir retourner en Haïti. Il en arrive à penser qu’il n’a pas sa place ici. Il dit ne pas pouvoir faire confiance à la police. Mais, il vit aussi de nombreuses autres difficultés financières, notamment, qui l’amènent à commettre un premier vol, allumer un incendie dans un parc, etc. jusqu’au crime ultime. Il vivra aussi difficilement une peine d’amour.
Cet être à l’équilibre fragile s’exprime dans un slang que Major entend chez ses proches, mais qu’on ne retrouve pratiquement pas au théâtre. Chose certaine, cette langue a beaucoup de rythme. Elle fait penser au rap. Bien sûr, on perd des mots, mais pas le fil de l’histoire. D’ailleurs, rappelons que King Dave 1er s’exprimait lui aussi dans une langue de scène inventée; Alexandre Goyette disait d’ailleurs au sujet de cette première mouture que les mots qu’on n’arrive pas à entendre ne sont en fait que des touches de couleur dans toute la palette de l’oeuvre.
«Une orgie de coussins sur le futon»
Major est particulièrement hilarant dans la scène où une jeune femme l’invite à son appartement. Il en fait le tour en s’extasiant sur le décor plus riche que ceux auxquels il est habitué. Il y a même des rideaux (!) et «une orgie de coussins sur le futon !» Espiègle, il joue les deux rôles, avec le ton de chacun des soupirants et des postures qui ont bien fait rigoler la salle !
À plusieurs reprises durant le spectacle, Dave cesse de parler et s’installe au piano pour jouer de courtes pièces harmonieuses. Voilà qui vient, dès le début, ébranler les perceptions qu’on pourrait avoir de ce jeune homme empêtré dans la criminalité; on découvre ainsi qu’il est capable de douceur. Plus il se dévoile, plus on sent sa vulnérabilité. Il a peur, en fait, qu’on ne lui reconnaisse aucune valeur, ce qui l’amène à prendre de mauvaises décisions.
Plus on se rapproche de l’essence du personnage, plus on oublie les différences de langue et de couleur. En fait, son histoire nous interpelle car elle est universelle et en même temps bien de chez nous, puisqu’elle se déroule tantôt aux stations de métro Langelier ou Cadillac, tantôt à Rivière-des-Prairies, ou dans le quartier Saint-François à Laval.
En plus d’apporter une rafraîchissante adaptation d’une pièce marquante de la dramaturgie québécoise, ce nouveau roi Dave nous révèle un merveilleux comédien à qui l’on souhaite un long règne !
King Dave
Texte original : Alexandre Goyette
Adaptation : Alexandre Goyette et Anglesh Major
Mise en scène : Christian Fortin
Interprétation : Anglesh Major
Musique : Jenny Salgado
Au théâtre Jean-Duceppe, jusqu’au 23 mai