L’Orchestre symphonique de Montréal était au grand complet après le prélude d’une splendide interprétation de l’Introduction et Allegro de Ravel sous les doigts de la gracile harpiste Jennifer Schwartz, le talentueux flûtiste Albert Brouwer, le clarinettiste Todd Cope, notre cher premier violoncelle Brian Manker, ainsi qu’Andrew Wan et Olivier Thouin aux violons pour compléter l’octuor avec Victor de Almeida qui tentera d’égaler l’élégant et raffiné premier altiste Victor Fournelle-Blain.
Donner la parole musicale aux premiers solistes de chaque pupitre est une autre brillante idée de l’OSM! Venons-en au plat de résistance que constituent les quatre-vingts minutes de la cinquième symphonie de Mahler dont tout le monde connaît le quatrième des cinq mouvements, cet Adagietto que Visconti utilisa dans le touchant film Mort à Venise conçu selon l’oeuvre de Thomas Mann. Tout d’abord une vue en plongée est nécessaire au concert pour savourer les nuances et les dialogues entre pupitres que rehaussent les ordres du chef d’orchestre. Ce n’était pas une disposition habituelle du quatuor à cordes ni une disposition à l’américaine: habituellement, pour le public faisant face à l’orchestre, on retrouve à gauche premiers et seconds violons, altistes au centre, violoncellistes à droite tout juste devant les contrebasses.
Cette fois, la disposition malhérienne suggéra à Nagano des contrebasses sur la gauche, les premiers violons les jouxtant, ensuite les violoncelles au choeur du quatuor et un mélange de seconds violons et d’altistes sur la droite. Percussions et cors complétaient l’arc-en-ciel sonore sur la gauche, les bois au centre (4 flutes, 4 hautbois de même pour les clarinettes et bassons avec un contrebasson) ultimement, en fin d’arc sur la droite les importantes quatre trompettes (avec Paul Merkelo en soliste bien entendu) et autres cuivres (4 trombones, tuba). On croit généralement que les spectateurs auditeurs au parterre sont mieux servis que les gens des corbeilles, mezzanine ou balcons mais c’est une erreur prétentieuse.
Étonnez-vous d’apprendre qu’à la Maison Symphonique, si on entend parfaitement de partout, c’est de ces trois balcons qu’on est le mieux servi sur les plans visuels et sonore. Mieux encore, la mobilité possible et surtout la vastitude de l’éventail spectaculaire de la scène se perçoit le mieux du monde au tout dernier balcon si l’on peut endurer les chuchotements estudiantins qui y ont hélas souvent court, noblesse d’éduquer la jeunesse à se tenir concentrée contraignant les vieux abonnés à les tancer du regard…
Pour résumer la performance magistrale de l’OSM dans cette symphonie d’une richesse dialogique inouïe, c’est un plaisir secouant ou remuant que d’entendre l’invention des thèmes en leurs variations et réponses entre un pupitre et l’autre. La grande classe de l’OSM qui n’a rien à envier à Vienne ou Amsterdam (Concertgebouw) ou même la Philharmonie de Berlin, c’est de montrer une cohésion infaillible et, une obéissance respectueuse au chef Nagano dont le départ annoncé commence un compte à rebours qui, au fond, sans doute, lui déchire le coeur. Il fallait voir le chef, souriant, heureux de voir et revoir la foule debout l’ovationner lui et les solistes remarquables des pupitres de l’ensemble pour comprendre que ce n’est pas de gaité de coeur qu’il quitte ou passe le bâton à celui ou probablement celle dont on continue de rechercher, tels des orpailleurs infatigables, le filon à l’anneau d’or. Nous sommes choyés par les arts et la culture, ici à Montréal surtout: creuset d’Europe et d’Amérique!
Photo: Jennifer Schwartz