L’Orchestre symphonique de Montréal a repris toute sa dimension de somptueux orchestre en choisissant d’interpréter Endymion de Jean Coulthard, un poème symphonique digne des orchestrations de Ralph Vaughan Williams avec lequel la compositrice avait étudié. On y entend une richesse d’orchestration parfois d’équivalence ravélienne. L’œuvre est vraiment remarquable.
Un peu plus d’une douzaine de minutes de rêverie onirique met rigoureusement en valeur chaque pupitre des bois, des cuivres, des cordes auxquels s’offrait la mélodieuse évocation d’un chant mythique. Si la beauté irrésistible d’un jeune homme grec émeut une déesse vulnérable au désir d’un bonheur aussi éternel que sa propre immortalité, cette émotion fut entièrement partagée du vaste public convié à cette soirée Apéro.
Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques pour faire rire
Le concept d’une soirée symphonique sans entracte débutant à 18h30 semble assez populaire pour remplir à capacité la salle (et suggérer l’idée de s’abonner!). C’est une formule qui sera vraisemblablement de retour l’an prochain. On y fait intervenir un vulgarisateur M. Larrue-St-Jacques qui semble plaire à la majorité des auditeurs accourus en informant parfois judicieusement de quelques détails biographiques la vie tumultueuse des compositeurs.

Hélas, par d’étranges raccourcis et simplifications au bénéfice de comparaisons loufoques et absurdes pour faire sourdre la rigolade, certaines sorties du chapeau de ce magicien de la parole bouffonne, n’aident pas à démêler le bon grain de l’ivraie des faits conséquents et crédibles.
Il faut avoir conscience des faits exacts pour discerner le décalage de sa caricature drolatique que l’humoriste esquisse sans trop de clin d’œil avec les faits : cette distinction ne se fait pas si par ignorance on entend avec foi candide donnant créance à la valeur faciale apparente de ses analogies tricotées à la va comme je te pousse.
La tragique destinée d’un enfant prodige
La puberté de Rachmaninov est tragique chez son professeur Zverev où on l’a logé et son adolescence forcément guère mieux, d’autant plus qu’une dépression extrêmement profonde au tout début l’âge adulte ne le quittera jamais tout à fait, sa vie durant…
La Révolution d’Octobre surgit donc et renverse les structures de classes, elle le pousse à un exil hors du pays communiste en sanguinaire guerre civile. On ignore la courageuse lutte politique engagée, convaincue et acharnée depuis l’insipide Amérique et cette résidence choisie à Hollywood ou son équivalent. Un silence de compositeur éteint l’accable. Rachmaninov fut à contre-courant de la gauche triomphale de l’Europe intellectuelle.
Staline bannit la musique de Rachmaninov
Par des lettres ouvertes dans les journaux jusqu’en Russie soviétique, Rachmaninov confrontait les excès, les mensonges et les procès sanguinaires orchestrés par Staline en son beau pays qu’il ne revit jamais, où on ne le joua plus de son vivant. Y a pas trop de quoi rire sinon jaune, une forme d’humour qui instruirait davantage et profiterait au public tout en s’alignant avec l’art requis d’un humoriste invité dans la plus prestigieuse salle du pays.
On peut faire rire et instruire en faisant grincer des dents aussi comme Sol (Marc Favreau) ou Yvon Deschamps ou même Clémence DesRochers, fille d’un grand poète québécois très engagé courageux lui aussi. Le rire jaune et l’humour noir ça exige un niveau d’écriture et de réflexion à la Voltaire (Candide, Zadig ou la destinée, etc.) mais combien plus glorieux que la grosse blague de la niaiserie de l’idiot du village.
La musique de Serge Rachmaninov
Le cliché de la musique « romantique » de Rachmaninov certes fut la cause qu’elle fut conspuée en Occident gauchiste dans les années 40-50-60-70-80-90 un long purgatoire: sa musique moquée, tenue pour dépassée ou frivole, de la part de tous ses prétendus compositeurs « collègues » modernes ou avant-gardistes qui, aujourd’hui, eux sont plus oubliés ou voire carrément abandonnés de leurs suiveurs devenus l’arrière-garde. Tragique tout ça. C’est de nous, démentis par le Temps et la faveur soutenue de sa musique, dont il fallait faire rire, pas de Rachmaninov.
Rach-3 avec Marie-Ange Nguci et la cheffe Marie Jacquot
La touchante et belle sensibilité pianistique de Marie-Ange Nguci dans le difficile troisième concerto du compositeur russe se manifeste dès l’incipit. Elle fut largement protégée par la cheffe Marie Jacquot: l’OSM s’est tenue en arrière-plan. L’orchestre accompagnait et les dialogues avec les hautbois, flûte, cor, clarinette furent rendus difficiles avec cet étirement très sentimental sous les doigts de l’habile pianiste: seul Albert Brouwer a réussi à se marier parfaitement à la pianiste, les autres le faisaient en décalage soit de rythme, soit de temps, soit de mesure. La cheffe, un peu fautive à mon avis à ces sujets-là, faisait passablement soupirer en douce l’orchestre et, tout ce qui eût pu ôter à la soliste sa prééminence sonore et mélodique, était modéré.
Je n’ai pas souvenir, depuis fort longtemps, d’avoir entendu l’orchestre si timide voire si intimidé à vouloir s’imposer. Marie-Ange Nguci a commis quelques fautes d’élocution et de texte qui passèrent inaperçues du public adorant religieusement et connaissant sans doute fort bien ce concerto (un film célèbre encore récent…). Après avoir reçu les vivats de la foule, madame Nguci ne s’est pas trop fait prier pour offrir un rappel savoureux: six minutes des plus belles pages du Concerto pour la seule main gauche de Maurice Ravel.
Ce fut une très belle soirée romantique et je n’ai pas compris pourquoi l’humoriste, après avoir fait son travail, est apparu sur scène après la prestation efficace du troisième concerto à propos duquel ou de laquelle il n’avait rien eu à voir, il me semble.
Photo en accueil : Werner Kmetitsch
Orchestre symphonique de Montréal
Marie Jacquot, cheffe d’orchestre
Marie-Ange Nguci, piano
Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques, présentateur
Œuvres
Jean Coulthard, Endymion, poème symphonique (13 min)*
*oeuvre canadienne
Sergueï Rachmaninov, Concerto pour piano no 3 en ré mineur, op. 30 (39 min)
Concert sans entracte