I Musici avait doublé ses effectifs, hier, pour un concert où l’on a créé une nouvelle oeuvre de Julien Bilodeau, composée pour cet ensemble montréalais et son premier violon, Julie Triquet. D’une durée d’une vingtaine de minutes, «Scènes de la vie de famille» comporte un thème et des variations pour violon solo et orchestre à cordes. La soliste semble représenter la mère, alors que les autres violons symbolisent les membres d’une grande famille; peut-être une famille d’oiseaux pépiant à travers d’amusants pizzicatos. Cette musique à la fois légère et émouvante qui traduit les joies et inquiétudes de la vie familiale, a été jouée en présence du compositeur québécois né en 1974 et révélé au grand public, en 2017, grâce à son opéra «Another brick in the wall».

Un Stravinski moins fréquenté
Juste avant, en ouverture du concert, on a eu droit à une oeuvre de Stravinski (1882-1971), rappelant que le répertoire de ce grand compositeur ne se limite pas à «L’oiseau de feu», «Petrouchka», ou «Le Sacre du printemps». Le chef, Jean-Marie Zeitouni nous a, en effet, permis de redécouvrir la musique du ballet «Apollon musagète», cet épithète signifiant «guide des muses». Avec 34 musiciens dans l’excellente acoustique de la Salle Bourgie, la «Variation d’Apollon» atteignait des dimensions colossales, contrastant avec la douceur du «Pas de deux» (Apollon et Terpsichore, muse de la danse). Bref, un voyage musical enchanteur avec le maître de l’Olympe, grâce à la subtilité et la poigne de maestro Zeitouni.

Minimalisme et mysticisme
En deuxième partie, place au violoncelliste Joshua Roman dans «The Protecting Veil» du compositeur britannique John Tavener (1944-2013). Ce titre réfère à la fête orthodoxe du Voile protecteur de la Mère de dieu, commémorant un miracle qui serait survenu au Xe siècle, en l’église Sainte-Marie-des-Blachernes de Constantinople. L’oeuvre de 45 minutes est constituée de 8 mouvements, chacun fondé sur l’un des modes de la musique byzantine et qui évoqueraient autant de moments-clés de la vie de la Vierge. Mais, qu’on adhère ou non au mysticisme, cette puissante musique associée au minimalisme nous transporte dans d’autres sphères. À lui seul, le contraste entre la douceur du violoncelle et la frénésie des violons saccadés a de quoi bouleverser. D’ailleurs, le jeune soliste américain, en pleine possession de ses moyens, semble, lui-même, souvent en état d’apesanteur. Roman démontre l’envergure de son talent et de sa sensibilité, notamment, dans le cinquième mouvement pour violoncelle seul, qui décrit les lamentations de la Mère de Dieu au pied de la Croix. Donc, le mot «extase» utilisé dans le titre du programme était bel et bien approprié pour ce concert mémorable à plusieurs points de vue.
Joshua Roman et Tavener : Imagination et extase
I Musici de Montréal (augmenté à 34 musiciens)
Stravinski : Apollon musagète
Julien Bilodeau : Scènes de la vie de famille
John Tavener : The Protecting Veil
Salle Bourgie, 24 mars