C’est du très grand théâtre auquel Olivier Arteau nous donne droit à la Compagnie Jean Duceppe pour cette rentrée avec la pièce Les gens, les lieux, les choses du dramaturge britannique Duncan Macmillan. Car il n’y a guère de thème plus enraciné en chacun de nous (ou de nos proches) qu’une forme ou une autre de fuite ou de dépendance pour retrouver l’euphorie essentielle à une joie de survivre au quotidien.
La distribution montréalaise et celle du Trident de Québec
La distribution est excellente avec une Anne-Élisabeth Bossé présente sur scène en métamorphoses de mythomane obstinée (et de fuyarde) durant tout le spectacle. Pour le nerf de la guerre contre la dépendance à juguler coûte que coûte et une forme de vraie guérison, on retrouve sa thérapeute aux nerfs d’acier jouée par Maude Guérin. Enfin huit autres excellents comédiens tous irréprochables virevoltent et dansent par moments entraînés sur une musique apte à égorger toute tristesse.
Toute la pièce est une chorégraphie des joies et des souffrances du corps en manque et de l’âme en peine.
Les décors, les costumes, l’éclairage
Admirablement traduits par David Laurin, les tableaux se suivent en maints costumes avec une grande dynamique de mouvement, surtout adaptés aux paroles brillantes et équivoques suscitant tour à tour le rire et l’émotion de la perte de soi, de la trahison des autres ou de l’implacable désarroi. On reconnaîtra dès l’amorce, la silhouette de La Mouette de Tchékov en une scène célèbre qui se désarticule jusqu’à l’évanouissement.
Puis surviendront des décors de salle de thérapie, de chambre de guérison, de foyers perdus et retrouvés, de quasi-cadavres échoués sur un trottoir, tous vêtus et pourtant en pleine mise à nu.
Sortir d’impasse et dresser la liste des blessés
L’affabulation c’est surtout la personnalité à béquille dépendante qui se fissure au fil du temps et qui se désagrège. Après avoir claudiqué longtemps jusqu’au moment de l’effondrement ou de la cassure totale, l’appel à l’aide surviendra bien qu’il n’osera pas d’emblée dire son nom et encore moins avouer franchement sa vulnérabilité et son désespoir.
Cette cassure, dans la vie, survient en ce moment d’une réplique (sur scène ou dans la vie) qui n’est plus possible, qui sonne faux ou qui ne vient pas.
On rit beaucoup et d’équivoques ou jaune
Certains des spectateurs à la Première ont sans doute reconnu leur propre parcours en montagnes russes vu la captation de pure bienveillance de tout l’auditoire. On rit presque sans relâche tout au long de cette pédagogie quasi-loufoque de la recherche d’une rédemption par la réhabilitation .
L’être en souffrance qui admet ses déficiences à ne plus pouvoir fuir dans les paradis artificiels et son impuissance à vouloir encore vivre malgré la douleur peut certes guérir. Mais sans se confier à la protection d’une puissance bien au-delà de la sienne, a t-il durablement une chance de ne pas rechuter?
La salle était sans doute pleine de gens ayant vu des proches (ou son propre égo) souffrir et retomber maintes fois dans la dépendance, car tous les spectateurs à l’unisson se sont levés pour 4 rappels des comédiens qui méritaient bien ces clameurs.
Les gens, les lieux, les choses
Chez Duceppe – détails
Texte : Duncan Macmillan.
Traduction : David Laurin.
Mise en scène : Olivier Arteau.
Avec Anne-Élisabeth Bossé, Claude Breton-Potvin, Maude Guérin, Joephillip Lafortune, Marc-Antoine Marceau, Jean-Sébastien Ouellette, Fabien Piché, Charles Roberge, Ines Sirine Azaiez et Alexandrine Warren. Une coproduction Duceppe et Le Trident. Au théâtre Duceppe du 12 septembre au 12 octobre