L’œuvre de Molière dans sa grande éloquence et son parlé riche, ironique et sarcastique, peut paraître difficile d’accès et on pourrait rapidement se perdre dans ses phrasés tellement courtois qu’ils en deviennent agaçants. Mais l’équilibre entre classique et moderne proposé par Claude Poissant pour L’Avare au Théâtre Denise Pelletier, nous réconcilie avec le style.
Pour le dernier spectacle de la saison au Théâtre Denise-Pelletier, Claude Poissant, directeur artistique depuis 2015, a choisi de travailler sur l’image : l’image scénique qui soutient des personnages colorés mais pas clichés, qui s’avèrent être pathétiquement à l’image de la société décrite : manipulateurs et égoïstes.
L’Avare, alias Harpagon, bourgeois grippe-sous maladif qui refuse le moindre écart monétaire, à lui comme à ses enfants, doit régler au plus vite le mariage qu’il force à sa fille Élise et celui qu’il refuse à son fils Cléante. Un conflit générationnel qui va en entraîner d’autres : amour contre intérêt, vérité contre mensonge, folie contre pragmatisme, chantage contre vertu.
Dans cette comédie dite « de caractère », l’accent est davantage mis sur les personnages aux caractères très marqués, que sur l’intrigue. Il est donc jouissif de voir tout à chacun élaborer je ne sais quel plan ou manigance pour arriver à ses fins. Comme souvent dans les pièces de Molière, ce sont les personnages secondaires qui font avancer l’action et on ne peut de ce fait que saluer le choix des comédiens pour les rôles des valets et du commissaire, qui nous font rire de bon cœur, sans trop forcer la caricature.
Dans les rôles principaux, Jean-François Casabonne et Sylvie Drapeau offrent une prestation délectable et donnent à leur personnage des tonalités de voix et des nuances de jeu recherchées qui nous sortent du classicisme auquel nous aurions pu nous attendre dans une pièce comme celle-ci.
Bien que cette représentation fût la première, on sent une équipe solide, en pleine maîtrise de son art, calée à la seconde, que rien – pas même les sonneries de cellulaire intempestives… (oui cela existe encore…)- ne pourrait venir perturber.
Et on sent également que le metteur en scène s’est amusé à perturber discrètement cette bourgeoisie figée dans son austérité, que ce soit grâce à la musique et des chorégraphies inattendues qui renforcent l’absurdité des quiproquos ou par l’emploi de comédiens pour jouer des rôles de femme et inversement ; à ce propos, attardez-vous sur Dame Claude, sorte de maîtresse du temps, qui à chaque apparition, voit sa pile de draps devenir de plus en plus grosse et désordonnée, c’est un régal.
Autrement dit, nous avons ici un classique, revisité dans son esthétisme, bonifié dans son traitement, avec une vision moderne et respectueuse et un sans-faute pour les comédiens : une excellente façon de finir cette saison me semble-t-il…
L’Avare est présenté jusqu’au 8 avril, au théâtre Denise-Pelletier.
Metteur en scène CLAUDE POISSANT
Distribution JEAN-FRANÇOIS CASABONNE, SYLVIE DRAPEAU, SIMON BEAULÉ-BULMAN, LAETITIA ISAMBERT, JEAN-PHILIPPE PERRAS, CYNTHIA WU-MAHEUX, GABRIEL SZABO, SAMUEL CÔTÉ, BRUNO PICCOLO, FRANÇOIS RUEL-CÔTÉ
Durée du spectacle
1 h 50 sans entracte
Photo: Jean-François Casabonne (Harpagon), Sylvie Drapeau (Frosine)
Crédit photo : Gunther Gamper