Hier soir, au Cabaret du Casino de Montréal, les astres se sont alignés pour offrir une soirée d’exception, portée par l’éclat du duo Pelchat–Aznavour. En ouvrant le bal avec l’indémodable Je m’voyais déjà, Mario Pelchat a instantanément suspendu le temps, donnant le ton à une soirée nécessaire en ces temps difficiles, car empreinte de romantisme, et sertie des plus précieux joyaux de la chanson française. À 18 ans, j’ai quitté ma province… — la chanson du destin contrarié, de la fougue de la jeunesse brisée.
Le public, conquis, a savouré chaque mot, chaque inflexion, chaque souffle, chaque geste. En véritable orfèvre de l’émotion, le Dolmissois, n’imite pas, il incarne avec ferveur Désormais, ce spectacle-hommage conçu en 2019, interrompu en 2020, et ressuscité en 2024, acte de mémoire, de transmission et d’amour, pour célébrer le centenaire de l’inoubliable Charles Aznavour. En guise d’offrande : un album lumineux, à la hauteur du mythe.
Si la voix fêlée d’Aznavour fut longtemps moquée par les prétendus connaisseurs, le public, lui, a su dès le départ y entendre la vérité. Il l’a d’ailleurs adopté sans réserve dès ses premiers pas au Québec. Il a reconnu dans ce timbre brisé la trace indélébile des épreuves, une tristesse pudique, une voix qui ne flattait pas l’oreille, mais caressait l’âme.
Le vibrato de Pelchat, plus ample, plus lyrique peut-être, est bouleversant. Il chante avec les cicatrices de l’homme mûri par le temps, et dans le grain de sa voix résonnent les failles que chacun tente de taire. Sa tessiture abrite l’écho de nos propres abîmes et révèle cette part de vulnérabilité qui nous unit tous … au-delà des mots, au rythme du geste aussi.
Sur les quelque 1400 chansons composées par Charles Aznavour — et interprétées, entre autres, par Frank Sinatra, Maurice Chevalier, Elton John et Ginette Reno — près d’une vingtaine de classiques, connus de tous, trouvent leur place dans ce spectacle-hommage.
Mais Pelchat ne s’arrête pas aux incontournables : il surprend en interprétant trois titres que le grand public ne soupçonne pas être issus de la plume d’Aznavour. Un Mexicain basané (chanté par Marcel Amont), Un monde avec toi (popularisé par Raymonde Berthiaume) et Aïe mourir pour toi (rendu célèbre par Michel Louvain) viennent révéler la richesse et l’étendue insoupçonnée de l’œuvre aznavourienne.
Il tisse ainsi un lien vivant entre hier et aujourd’hui, entre l’intime et le collectif. Si Non je n’ai rien oublié fait partie de ses préférées, les souvenirs qu’évoquent cette chanson affluent.
Rigoureux mais chaleureux, Mario Pelchat prend aussi le temps de s’adresser à son public. Il partage des anecdotes, notamment celle, savoureuse, de sa rencontre avec Charles Aznavour en 2002 ; il évoque les secrets d’écriture des compositeurs, ses propres états d’âme — comme ce moment de mélancolie vécu à Venise, qui semble encore l’habiter.
Enfin, moment fort de la soirée : un duo virtuel avec Édith Piaf sur Plus bleu que tes yeux, audacieux et émouvant. Une rencontre impossible, rendue possible par la technologie… et par la sincérité de l’interprétation. Une alliance de deux timbres mythiques, réunis l’espace d’un instant suspendu.
En soutien à sa performance, une dizaine de musiciens d’exception — aux cuivres, aux cordes, à la batterie — sous la direction du fidèle Christian Turcotte, ajoutent éclat et profondeur à chaque arrangement. Une orchestration riche, à la hauteur des grandes œuvres qu’elle accompagne.
©Karl André – Tous droits réservés.
Mario Pelchat fait partie de ce patrimoine vivant que le Québec a la chance de compter parmi les siens. Il mérite qu’on en prenne soin. Et s’il a choisi de rester enraciné dans sa terre natale, c’est aussi pour mieux la faire fleurir — au sens propre comme au figuré — en y cultivant non seulement la chanson, mais également un vignoble. Un artiste enraciné, engagé, entier.
Il reste un seul soir, soit le 15 mai, avant que cette tournée hommage à Aznavour se termine.
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