Elles sont deux et pendant près d’une heure, elles sont confrontées à leur souffle, à l’espace qui s’amenuise, au temps qui s’égrène. Il y a quelque chose s’hypnotisant dans leurs mouvements, leurs émotions. La chorégraphe Lucy Guerin, très présente à l’échelle internationale, nous confond dans sa mise en scène : nos idées préconçues, notre curiosité et nos attentes sont contrebalancées par une scénographie intelligente et l’impressionnante endurance des danseuses.
Tout commence par la musique : entêtante, ou envoutante, elle ne cessera de nous entrainer dans sa lancinante composition. Sur ce rythme, et sans autre forme de procès, les interprètes Melanie Lane et Lilian Steiner se lancent dans une danse brute, parfaitement synchronisée, répétitive… Cette deuxième perception est rapidement défaite au profit d’une diversité de mouvements qui vont s’installer au fur et à mesure. De mécaniques et doux, ils vont devenir fluides et puissants.
Pourquoi deuxième perception ? Parce que la première est évidente et justifie l’intérêt que soulève cette pièce. Alors que Melanie Lane est vêtue d’une robe bleue, austère et couvrante, Lilian Steiner est tout à fait nue. Dès lors, nous sommes partagés entre admiration, gêne et questionnement : que ressent-elle ? Nous serions tentés de la définir par une certaine fragilité, voire une certaine faiblesse, car après tout, elle se présente ainsi sans artifices, sans protection, rien. Et pourtant… Au bout de quelques minutes, cette perception est démontée : la nudité devient un costume de scène. Forte, assurée, en contrôle, Lilian Steiner fait preuve d’une certaine audace et d’un charisme qui nous fait oublier sa délicate prémisse physique.
Tout réside dans cette opposition, dont l’interprétation semblait évidente. Le pouvoir dans l’habit, l’armure ! Mais la force de Lucy Guerin est ailleurs : aller chercher cette force, cette dominance dans l’absence. Si on n’a plus rien — à perdre ? — on est donc plus aventureux et redoutable.
Le rapport au temps et à l’espace est une composante essentielle du processus de création : plus ils diminuent, plus les corps s’entrechoquent, se défient, s’enlacent, se rejettent. Ils s’apprivoisent dans un espace de plus en plus restreint, avec une intimité de plus en plus endossée. Le travail de chaque partie du corps est impressionnant. Si l’effort physique est admirablement porté par Lilian Steiner, la palette d’émotions de Melanie Lane est riche. C’est par elle que l’on suit l’évolution de ce duo. Méfiante, charmée, soumise ou révoltée, elle peut se donner, réagir et dicter et pas seulement subir ce qu’on lui impose.
La troisième perception mise à mal concerne cet espace et ce temps qui se réduisent indubitablement. L’impression logique serait de sentir une certaine pression, un étouffement. Au contraire, la communion entre les deux artistes, même si elle est régie par de nombreux sentiments, en est décuplée. Précieuse et captivante, elle est suivie par un public respectueux et captivé.
Si le premier tiers se fait sur une lumière assumée, les tableaux suivants sont éclairés de manière plus subtile et sur les côtés, agrémentant d’une aura de mystère, les mouvements exécutés. Les changements de configurations effectués par les danseuses sont prétextes à des pauses et à une routine tout aussi entêtante que la musique. Religieusement, elles vont venir positionner une bande blanche pour s’imposer leur nouvelle aire. S’imposer ou accepter ?
Opposition, communion et fusion… Split s’impose comme une allégorie sur les dilemmes, les réflexions, les de la négociation avec soi-même et les autres dans un monde de plus en plus complexe.
Crédit photos : Gregory Lorenzutti
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