D’entrée de jeu, Sophie Cadieux pose son regard frondeur sur le public venu voir ce spectacle sur les tourments de la dépression. Lors de la première médiatique au Prospero, la comédienne semblait déjà totalement habitée par son personnage complexe, comme si elle ne l’avait pas quitté depuis l’époque où la pièce a été présentée à Montréal en 2016 et à Paris deux ans plus tard.
Seule sur scène, dans cette comédie noire de la dramaturge britannique Sarah Kane, l’actrice incarne un être révolté à l’esprit vif, malgré ses idées suicidaires. Cette femme aux prises avec un profond mal de vivre précise qu’elle ne veut pas mourir, mais qu’elle ne veut plus vivre, lasse de supporter la solitude, les trahisons et son incapacité de trouver un sens à sa vie. La comédienne prête aussi sa voix à son médecin à qui elle annonce qu’elle va se suicider à 4h 48; il lui reste à déterminer quel jour elle passera à l’acte.
En fait, la malade ne croit pas que son psy et les médicaments qu’il lui prescrit lui permettront d’apaiser le désarroi qui la ronge. En plus de narguer le corps médical, elle interprète aussi son psychiatre dans des moments de confrontations sarcastiques qui déclenchent des éclats de rire dans la salle. Du début à la fin du spectacle, la comédienne réussit à donner l’impression au public qu’il est partie prenante de ce qui se déroule sur scène. La traduction de Guillaume Corbeil dans un français d’ici est d’une grande efficacité.
L’irrévérencieuse qui à un certain moment, arbore une légère armure de chevalière, résiste au discours normalisant du monde médical. Elle décrit l’effet des médicaments qu’on lui prescrit et l’augmentation des doses sur un ton ironique. En fait, elle n’obéit qu’à sa colère et personne ne semble trouver grâce à ses yeux : «Arrête de me regarder!» ordonne-t-elle aux spectateurs qu’elle semble accuser de voyeurisme..
«Vous avez des amis. Que leur apportez-vous?» demande son psychiatre qui finira par ajouter : «Vous n’avez pas besoin d’un ami; vous avez besoin d’un médecin.» La patiente répondra : «vous vous trompez tellement!»
À un autre moment, elle exhibe une longue trace de sang sur son bras. «Pourquoi ne me demandez-vous pas pourquoi je me suis mutilée?», vocifère-t-elle, alors que son médecin évite la question et veut simplement s’assurer qu’il n’y aura pas d’infection.
Bien que les mots soient au centre du spectacle, le metteur en scène Florent Siaud a su marquer visuellement une certaine montée dramatique, à travers le dévoilement progressif du décor de Romain Fabre qui s’ouvre et laisse apparaître une allée rouge sang. Cet univers inquiétant est aussi nourri d’images vidéos de David B. Ricard qui évoquent, entre autres, le visage torturé de la patiente.
En résumé, Sophie Cadieux porte avec brio ce monologue intense d’environ une heure qui nous plonge au coeur d’un drame comme il en existe sans doute autour de nous à différents degrés d’intensité. Si on a souvent tendance à ignorer les problèmes de santé mentale, ce n’est pas le cas dans cette pièce qui braque les projecteurs sur des causes profondes du mal de vivre.
4.48 Psychose / Texte: Sarah Kane
Interprétation: Sophie Cadieux
Mise en scène: Florent Siaud
Traduction: Guillaume Corbeil
Scénographie et costumes: Romain Fabre
Vidéo: David B. Ricard
Au théâtre Prospero du 15 au 22 mai