L’Orchestre classique de Montréal a fait salle comble, mardi soir, avec la première mondiale de La Flambeau du compositeur montréalais d’origine haïtienne David Bontemps. Inspiré d’une tradition vaudoue, le livret est basé sur une pièce de théâtre de l’écrivain haïtien Faubert Bolivar.
Cet opéra repose sur des mélodies bien tournées et des thèmes musicaux accessibles à tous. On est aussi charmé par les voix de plusieurs des interprètes. Le spectacle, présenté dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs est, en soi, un évènement, car il n’existerait qu’un très petit nombre d’opéras haïtiens.
La Flambeau est le patronyme d’une famille d’esprits que l’on retrouve dans la tradition vaudoue haïtienne. C’est dans l’évocation de cet univers mystérieux que se déroule un drame impliquant quatre personnages : Monsieur, Madame, Mademoiselle et L’Homme. Tous chantent en français avec quelques passages en créole haïtien. Les phrases chantées sont courtes, ce qui aide à suivre l’intrigue.
Sur la scène de la salle Pierre-Mercure, trône un long canapé où va se jouer un moment tragique. Quant aux musiciens de l’OCM, dirigés par Alain Trudel, ils sont placés dans la fosse d’orchestre.
L’histoire
Monsieur est un intellectuel narcissique qui prépare un discours qu’il doit prononcer sur les vertus de la république. Madame, qui semble sous l’emprise de la folie, converse avec sa mère défunte. Le couple bourgeois engage une ménagère issue de la classe ouvrière. Il s’agit de Mademoiselle, dont Monsieur abusera physiquement dans une scène d’une brutalité troublante.
Vers la fin du spectacle d’environ 80 minutes, Monsieur recevra la visite de L’Homme, venu « au nom de la société La Flambeau pour le juger ». Monsieur est alors condamné à devenir un zombi au service de Mademoiselle et de la communauté.
Les voix
Le personnage justicier de L’Homme est incarné par Brandon Coleman qui a une voix de baryton-basse d’une puissance spectatulaire! L’artiste en impose aussi par sa forte présence scénique.
Belle prestation également de Catherine Daniel qui arrive à exprimer le désarroi de Madame, à travers les nuances de sa riche voix de mezzo-soprano. Quant à la soprano Suzanne Taffot, elle est parfois bouleversante en Mademoiselle. Par contre, le ténor Paul Williamson n’arrive pas à s’imposer vocalement dans le rôle de Monsieur. L’artiste a toutefois d’indéniables qualités de comédiens qui apportent un peu de légèreté à son sombre personnage.
La condamnation
Dans un résumé de l’oeuvre publié par l’OCM, on peut lire : «Au travers de ce drame campé en contexte haïtien… c’est le procès d’une élite dévoyée qui se drape de vertus pour subjuguer les classes défavorisées. C’est aussi la dénonciation des abus psychologiques et physiques faits aux femmes. C’est un verdict sans appel contre la chosification, la manipulation et la domination des personnes, par un jeu intense et subtil de portraits qui « brûle les passions »
Je dois dire que ces «portraits» ne m’ont pas parus «subtils». En fait, le personnage de Monsieur a tous les torts et les ressorts dramatiques de l’oeuvre sont en place, dès le début, pour le condamner et le faire disparaître. Voilà pourquoi, il m’apparaît étrange de qualifier La Flambeau d’«ode à la compassion».
Cela dit, la révélation dans ce spectacle est le compositeur David Bontemps qui a su créer une oeuvre intéressante musicalement du début à la fin, grâce, entre autres, à des mélodies bien servies par la majorité des interprètes de cette distribution. Nous allons d’ailleurs pouvoir réécouter La Flambeau, puisque cet opéra de chambre pour orchestre à cordes, maracas et quatre chanteurs a été enregistré par Atma. Disque à paraître en 2024.
La Flambeau
David Bontemps, compositeur
Faubert Bolivar, librettiste
Orchestre classique de Montréal / Alain Trudel, chef
Suzanne Taffot, soprano
Catherine Daniel, mezzo-soprano
Paul Williamson, ténor
Brandon Coleman, baryton-basse
Mariah Inger, metteure en scène
Opéra créé à la salle Pierre-Mercure, le 7 février 2023
*Photos fournies par l’Orchestre classique de Montréal