Une adaptation de la célèbre pièce Les Bonnes de Jean Genet est à l’affiche au théâtre La Chapelle. On a transposé à Westmount cette histoire de cruauté entre une dame de la bourgeoisie et ses deux servantes. Alors que pareils jeux de pouvoir ont longtemps caractérisé les relations entre anglophones et francophones à Montréal, la metteure en scène Roxane Loumède fait parler ses personnages dans les deux langues. En plus, les domestiques s’expriment parfois en espagnol. Faut-il être trilingue pour apprécier pleinement ce spectacle ?
Solange et Claire travaillent pour une riche femme de Westmount surnommée Madame. Elles la détestent et en son absence, elles s’amusent à simuler son meurtre. Les deux soeurs s’échangent le rôle de la patronne et laissent libre cours à leur méchanceté. À l’arrivée de Madame, elles redeviennent dociles et continuent de répondre à ses exigences.
Il y a de la cruauté chez les trois personnages interprétés par Alexandra Petrachuk, Camila Forteza et Marie-Ève Bérubé. En ce sens, cette relecture demeure fidèle à Genet pour qui Les Bonnes n’était pas un plaidoyer pour les domestiques, mais plutôt un exercice visant à mettre les spectateurs mal à l’aise.
75 ans après la création de cette pièce, la metteure en scène Roxane Loumède a vraisemblablement voulu souligner que les anglophones ne sont plus les seuls aujourd’hui à avoir des serviteurs et que ces derniers sont souvent des hispanophones. Quoi qu’il en soit, était-ce bien nécessaire de traduire de grands pans du texte ? La pièce de Genet est déjà éloquente sur les relations entre dominants et dominés et il y a bien longtemps qu’on sait que la cruauté ne s’exerce pas que par les biens nantis, quelle que soit leur langue.
Le soir ou j’ai vu Proje(c)t ; Les bonnes, il n’y avait pas de surtitres. J’en déduis que ceux qui ne connaissent pas la pièce de Genet et qui ne sont pas à l’aise en français ou en anglais devaient être souvent perdus. En effet, il y a de nombreuses subtilités dans les répliques des deux soeurs qui s’adonnent à des jeux de rôles pour tenter de se défouler en l’absence de Madame.
On utilise l’espagnol dans une moindre mesure mais, ne connaissant pas cette langue, j’ai dû y aller par déduction, ce qui n’est certainement pas idéal. Et surtout, qu’est-ce que ce trilinguisme apporte ?
Le texte de Genet s’intéresse à la manipulation psychologique chez ces femmes issues de deux classes sociales. La cruauté dont elles font preuve n’a vraisemblablement pas grand chose à voir avec la langue dans laquelle elles s’expriment. Alors, pourquoi ne pas présenter Les Bonnes en français ou traduire le texte entier dans une autre langue ?
Les représentations à venir prévoient des surtitres en français ou en anglais, mais pour suivre les traductions de ce texte dense, on risque d’avoir les yeux rivés sur les surtitres plutôt que sur la scène.
Parlant du jeu des comédiennes, le personnage de Madame m’a paru clownesque avec ses faux implants mammaires rappelant la caricaturale Criquette Rockwell (Anne Dorval) dans Le coeur a ses raisons. Tout se déroule dans une chambre au décor kitsch où trône un grand lit recouvert de draps de satin et des meubles de faux marbre. Les personnages sont souvent filmés en gros plans, de sorte qu’on voit leurs visages déformés. Ici encore, qu’est ce que ça apporte ?
Proje(c)t ; Les bonne
Adaptation du texte et mise en scène : Roxane Loumède
Avec : Alexandra Petrachuk, Camila Forteza et Marie-Ève Bérubé
La Chapelle Scènes Contemporaines jusqu’au 10 septembre
Crédit photo : Phanie Ethier