Comme nous vivons à une époque où la vérité sur les faits de l’existence devient de plus en plus périlleuse à découvrir ou débusquer – et encore plus à divulguer (songeons à Julian Assange!), il nous reste le refuge urgent vers la poésie des plus grands et le culte de la grande musique qui élève l’âme jusqu’à la rendre invulnérable. La soprano Rachel Fenlon, talentueuse musicienne chantant et s’accompagnant au piano, nous offrira, dès cette semaine, vendredi soir 4 octobre, le premier captivant récital solo de l’intégrale Schubert proposée par la courageuse Salle Bourgie.
S’instruire en profitant de l’opportun moment musical
Je me suis dit, devant la montagne de mes partitions d’art vocal depuis la Renaissance jusqu’à Kurt Weil, héritage reçu d’une grande musicienne soit Ursula Kant Clutterbuck décédée il y a une dizaine d’années, que je devais m’instruire un peu au lieu de flâner nonchalamment en flottant dans l’air du temps avec tant d’insouciance (mais combien de joies innocentes) !
Ainsi, au vu du programme de récital de ce vendredi soir – récital à ne vraiment pas manquer – j’ai répertorié les œuvres au programme de la chanteuse et, m’asseyant au piano, j’ai prétendu que je ferais pareil pour me rendre bien compte que s’accompagner en chantant, en plus, c’est toute une affaire hors de ma portée d’incorrigible dilettante.
Poésies de Goethe et Schiller
Je dois me rabattre sur la poésie sublime des plus grands Allemands des siècles révolus, soit Goethe et Schiller, en faisant deux actions séparées et non simultanées: jouer tout d’abord la partie du piano telle qu’écrite, puis lire les paroles allemandes traduites heureusement au beau programme offert par la vaillante équipe de la Salle Bourgie.
Sur le piano de la famille Nelligan (ce Steinway New York de concert de 1874 possession de la mère d’Émile Nelligan qui elle en jouait, avec sa fille je crois, joyau patrimonial obtenu de madame Gisèle Nelligan-Corbeil à son décès lors d’un encan providentiel) c’est un emportement d’harmonies chavirantes à la sensation de ces neuf pieds de cordes vibrantes.
Au Bluthner de concert acheté le jour même de ma retraite de l’enseignement pour me récompenser ou consoler d’avoir enduré tant de réformes inopérantes et les dégradations du prestige d’autrefois induit au clergé à vocation solide d’instruire, de plaire et d’élever le cœur et l’âme de leurs émules, au Bluthner tout neuf de mon salon donc, c’est un voyage direct jusqu’au firmament! C’est toujours une musique à ravir.
Le pays idéal de l’immensément grand Franz Schubert
Le programme du vendredi 4 octobre offrira six étendues ou plages ou tapis volants de 17 œuvres de Schubert. Rachel Fenlon les intercale avec sept (7) œuvres du compositeur anglais Benjamin Britten. Pour l’instant, je ne m’intéresse qu’à Schubert de par l’exigüité de mon cerveau et la peur du surmenage vu toutes ces premières de théâtre et d’opéra que je me plais à courir.
En jouant ces lieders choisis de Schubert, et en me faisant accroire que je les ferai un peu chanter en fredonnant cet allemand de consonnances qui est le mien, voici ce que j’ai découvert comme plus sublimes moments d’envols vocaliques: ce n’est que lorsque les voyelles allemandes s’affranchissent du tissu robuste des consonnes allemandes, agissant comme de cruelles geôlières, que l’envol sonore se propulse vers le nirvana de la seule liberté qui compte soit aimer.
Schubert, ce malheureux garçon en amour
Cet emportement d’aimer à la folie un printemps, un automne, un oiseau rare, une lune éclatante, un ruisseau, le calme du soir, l’image de Ganymède dans son plus simple appareil, les étoiles nocturnes, la joie du pêcheur saisissant une prise miraculeuse, la proximité de ceux qui nous entourent tendrement, enfin le fils ou la fille choisie des Muses: tout est admirable dans la vie d’un poète pour qui aime et chérit la juste beauté.
Voilà les proies capturées par l’amour musical de Franz Schubert, ce demi-dieu de la musique, armé de ses flèches de quasi Cupidon à jamais éconduit par de tant de femmes n’ayant pas vu, en lui, l’objet idéal.
Beauté tragique versus les fins heureuses
La beauté tragique qui est du ressort de toute la culture occidentale depuis les Grecs trouve chaque fois sa cristallisation chez Schubert et les trois quarts du récital promis vendredi le prouveront. Dans la culture américanisée de notre époque, le bonheur de la fin heureuse du rêve hollywoodien ou de Disneyland tend à prendre le dessus non seulement au cinéma ou dans les productions télévisuelles mais en littérature contemporaine qui ne soit pas tueries incessantes (thrillers) et d’abâtardissantes guerres assassines.
À tel point qu’on oublie que les grands arts aristocratiques (ballet, théâtre, la haute littérature, la musique éternelle depuis Monteverdi jusqu’à Chostakovich) ont mission de faire réfléchir le cœur et le cerveau humains. Rachel Fenlon offrira ce genre de témoignage autour de Schubert. Pour le Britten, je ne préparerai délibérément rien et j’attendrai la surprise qu’on nous offrira lors de cet ambitieux récital invitant.
- FRANZ SCHUBERT (1797–1828)
Im Frühling [Au printemps / In Springtime], D. 882 (1826)
Die Vögel [Les oiseaux / The Birds], D. 691 (1820)
Ganymed [Ganymède/ Ganymede], D. 544 (1817) - BENJAMIN BRITTEN (1913–1976)
Folksong Arrangements (extraits)
The Salley Gardens - FRANZ SCHUBERT
Am Bach im Frühling [Près du ruisseau au printemps / By the Brook in
Springtime], D. 361 (1816)
Die Götter Griechenlands [Les dieux de la Grèce / The Gods of Greece],
D. 677 (1819)
Du bist die Ruh [Tu es le repos / You Are Rest], D. 776 (1823) - BENJAMIN BRITTEN
How sweet the answer - FRANZ SCHUBERT
Romanze aus Rosamunde [Romance de Rosamunde / Romance from
Rosamunde], D. 797 (1823)
Gretchen am Spinnrade [Marguerite au rouet / Gretchen at the Spinning
Wheel], D. 118 (1814) - BENJAMIN BRITTEN
The last rose of summer - FRANZ SCHUBERT
An den Mond in einer Herbstnacht [À la lune, une nuit d’automne / To the
Moon on an Autumn Night], D. 614 (1818) - BENJAMIN BRITTEN
Il est quelqu’un sur terre - FRANZ SCHUBERT
Der Musensohn [Le fils des muses / The Son of the Muses], D. 764 (1822)
Der Tod und das Mädchen [La jeune fille et la mort / Death and the Maiden],
D. 531 (1817)
Abendstern [L’étoile du soir / Evening Star], D. 806 (1824)
An Sylvia [À Sylvia / To Sylvia], D. 891 (1826)
Nähe des Geliebten [Proximité du bien-aimé / Close to the Beloved], D. 162
(1815) - BENJAMIN BRITTEN
Fileuse - FRANZ SCHUBERT
Litanei auf das Fest Allerseelen [Litanies pour la fête de toutes les âmes /
Litany for All Souls’ Day], D. 343 (1816)
Des Fischers Liebesglück [L’amour heureux du pêcheur / The Fisherman’s Joy
in Love], D. 933 (1827) - BENJAMIN BRITTEN
O Waly, Waly