Alexis Hauser et Louis Lavigueur ont plusieurs choses en commun en plus de leur amour passionné de la musique: ces chefs d’orchestre portent très haut l’attention pédagogique visant à faire mûrir le talent et la foi dans la jeunesse musicale de notre pays. Chacun des deux chefs d’orchestre n’hésite pas à motiver les jeunes à s’attaquer à des oeuvres musicales hautement difficiles techniquement en se disant sans doute que cela mûrira et portera ses vrais fruits, un jour… peut-être pas si lointain que cela.
Deux événements musicaux récents m’ont suffisamment plu pour que je vous en résume un petit peu la teneur: Alexis Hauser a guidé les musiciens de l’Orchestre Symphonique de McGill dans la très belle église néo-baroque Saint Jean-Baptiste, rue Rachel, samedi soir le 23 mars dernier avec rien de moins que la longue mais splendide Symphonie no.5 de Gustav Mahler. L’Adagio fut sans contredit le mouvement le plus réussi de la symphonie et le plus bouleversant comme toujours (on se laisse très aisément aller jusqu’aux larmes pour qui se sent capable de la moindre introspection ou réflexion sur le monde occidental tel qu’il est devenu depuis l’Entre-deux-Guerres où les valeurs de l’Occident se sont effondrées, une à une, jusqu’à se décomposer).
La lecture de la partition symphonique, la direction soignée des différents pupitres, l’exécution des parties si difficiles dévolues aux cuivres et aux vents, par exemple, sans oublier ces dialogues et mélodies offertes aux différentes voix du quatuor à cordes de l’orchestre tous tenus de dialoguer avec finesse, voilà un travail colossal bien abattu par le chef Hauser et les jeunes musiciens en progression ou en développement. Il ne faut pas que j’oublie la fougue et l’assurance que tout cela exigerait bien davantage, à l’avenir, comme ressources dans ce grand et long chef-d’oeuvre, mais sans contredit on peut parler de réussite scolaire et d’étape importante dans une vie de jeune musicien ambitieux de parvenir à la maturité en interprétation musicale.
Évidemment, le niveau ne pouvait atteindre celui qu’on distingue lorsque Eliahu Inbal dirige un orchestre allemand comme le Staatskapelle de Dresde ou le Gewandhaus de Leipzig, (tout de même, il ne faut pas rêver l’impossible) mais ce fut une soirée mémorable pour ces jeunes musiciens et passablement agréable pour nous tous. Elle annonce, pour tous ces jeunes musiciens qui ont réussi une exécution attentive et exacte en lecture à vue bien dirigée par Alexis Hauser, ce que pourra devenir l’interprétation réelle de cette musique de Mahler, une fois la conviction de la maîtrise instrumentale atteinte avec l’élan poétique déchirant et convaincu, avec la puissance et l’assurance en soi de la maîtrise sonore parfaite de son instrument auquel la partition confie tel solo ou tel dialogue. Tout cela donc un jour prochain, sans aucun doute au sein d’un autre ensemble où ces très jeunes musicien(ne)s au début de la vingtaine, s’ils persévèrent avec sérénité et confiance en leur profession… sauront vraisemblablement réaliser la fameuse performance optimale qui n’arrive que quelques fois dans une vie humaine et que le disque amène jusqu’à nous, critiques et auditeurs professionnels, pour établir des comparaisons exigeantes toujours bien relatives ou circonstancielles.
Parlons maintenant de Louis Lavigueur, ce chef disert qui parle en franchise avec éloquence de musique, de culture, le tout saupoudré d’un humour savoureux tout à fait spirituel et politiquement engagé (heureusement pas dans le sens de la rectitude politique de l’actuelle fadeur en vogue). Ainsi, cet homme érudit défend – comme moi d’ailleurs- l’élitisme des Petits chanteurs du Mont-Royal n’en déplaise aux plébéien(ne)s jaloux(ses)ou envieux(ses). Primo, quelques personnes choyées devraient s’estimer chanceuses de s’être fait un ami rare à vénérer en ce qui a trait à M. Lavigueur si le hasard l’a porté dans leur entourage. Secundo, il a eu le culot de n’avoir pas peur de s’attaquer à Carmina Burana. Tertio, il a aussi la force morale de s’adresser avec assurance au public en début de programme, décochant des flèches (délétères, j’espère) aux imbéciles du milieu scolaire public québécois qui tentent par tous les moyens polémiques d’empêcher les jeunes talents musicaux du Collège Notre-Dame de grandir loin des médiocres nivellements qu’infligent les gestionnaires à plus que courte vue des commissions scolaires publiques montréalaises et québécoises.
Cet homme cultivé et digne d’un prix Nobel de la diffusion de la musique (qui n’existe hélas pas) a donc entrepris de faire chanter Carmina Burana (1936) de Carl Orff et Dona Nobis Pacem (1936) de Vaughan Williams – deux oeuvres difficiles – à son Choeur Classique de Montréal accompagné par un ensemble orchestral appelé Ensemble Sinfonia. Il avait en plus convié les Petits chanteurs du Mont-Royal à l’exercice des choeurs d’enfants entonnant ces chansons gaillardes du Moyen-Âge- entre autres. Tout ça à la Maison Symphonique, ce 26 mars à 20h puisque j’y ai aussi assisté.
Mes remarques sur l’exécution iront toutefois dans le même sens que celles que j’ai formulées pour l’Orchestre Symphonique de McGill quant à la valeur de l’exécution pour la jeunesse orchestrale et chorale présente qui verra cette oeuvre mûrir en elle au fil du temps. Les solistes ont éprouvé des difficultés vocales réelles sauf la constante soprano Myriam Leblanc, puisque le soir où j’ai été convié à l’audition, le baryton Nathaniel Watson chantait sa partie avec le péril de cordes vocales dangereusement désobéissantes et j’ai ressenti pour lui des douleurs pénibles à circonscrire et que je ne voudrais ni décrire en détail ni devoir soigner. Ce qui m’a par contre plu fortement fut de voir encore à quel point les programmes sont soignés par l’équipe de Lavigueur dans leur matérialité et combien les poésies sont hautement mises en valeur tant celles du grand poète Walt Whitman pour le Vaughan Williams que celle des chants profanes choisis par le grivois ou bacchante serviteur non repenti d’Apollon et Dionysos, je parle du compositeur Carl Orff.
Il ne faudrait pas qu’une clique de pédagogues puritains cyclopes ou borgnes (oeuvrant dans les officines, ils sont presque tous de cette espèce, désormais, hélas) s’empare de ces textes pour les lire avec mauvaise conscience (il faut les lire à la Montaigne, ou la Science sans conscience n’est que ruine de l’âme…): ces textes apparaîtraient sulfureux à ces esprits nullement pédagogiques et obtus obéissant aveuglément aux diktats des ministères publics de l’Éducation au pays désastreux qui est le nôtre. Surtout en cette époque où des brûlots comme Sodoma de Frédéric Martel (Éditions Robert Laffont, plus de 600 pages avec annexes en prime) font un tabac sensationnaliste dans vingt pays à la fois, par-dessus le marché! En attendant ce cataclysme, vive la musique qui nous libère chaque jour du péril de la bêtise qui ne trouve plus de plaisir à aimer l’amour de la musique ou plutôt la musique de l’amour. Et merci aux chefs qui se dévouent pour que la lyre soit encore l’apanage des cerveaux les plus riches et les plus contents à l’école comme dans la vie!
Photo: André Chevrier. Site web des Petits chanteurs du Mont-Royal