Au Piano Nobile de la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, plusieurs voix ont retenti de brio, de virtuosité polyvalente et de puissance lors du concert d’ouverture de la saison 2024-2025 de l’Atelier lyrique. Et, en ce même mardi 3 septembre, notre vaillant Opéra de Montréal, nous a présenté le rationnel des cinq opéras au programme (plus une brève création à l’intention de toute personne jeune au sens large). C’est un organisme à sa 45e année d’évolution et renouvelé progressivement en entier vers l’atteinte de nouveaux objectifs réalistes, inclusifs, sensiblement dirigés vers une ouverture à la jeunesse célébrée par volonté de cure de jouvence!
Répétition publique lors du Barbier de Séville de Rossini (28 sept. au 6 oct.)
Décidément, tout semble avoir été calibré pour séduire et instruire la jeunesse, pour susciter l’intérêt d’une tintillante curiosité assurant le renouvellement des passions tout autant pour le chant que pour les importants métiers connexes au monde de l’opéra: costumes, décors, maquillage, mise en scène enfin tous les aspects pluridisciplinaires de la production opératique. Des programmes avec les écoles, des partenariats avec des enseignants passionnés ou tout professeur ayant mis la musique au centre des moyens d’apprentissage, enfin des invitations à une répétition publique.
Un Hamlet (16 au 24 nov.) d’Ambroise Thomas pour faire réfléchir au désespoir
Mégane, Pascale, Vincent, Alma tous de très jeunes personnes d’âges et de situations sociales ou socioéconomiques ou de condition humaine variable agiront comme emblèmes discrets : leurs expériences de vie embrassent les thématiques les reliant au topos central d’Hamlet sans le volet politique. Que le suicide en ses tentations atteigne tout le monde hypersensible au mal et à l’injustice ou à l’abus de pouvoir, que les conflits parentaux ou familiaux se relient à l’affabulation dramatique, que le regard des autres intimide, que la folie apparaisse comme destin ou feinte, enfin on brasse les cartes du hasard et de l’existence pour que sorte l’as de la passion. Lorsqu’on amène sa classe d’adolescents aux générales étudiantes, on semble vouloir faire germer l’inspiration, la vocation musicale et théâtrale se révélant par une foule de coïncidences qui n’en seraient pas toutes, du moins tout à fait, à bien y songer.
Création spéciale en février doublant L’Enfant et les Sortilèges (6 au 9 fév.)
Au delà des nombreux projets sociaux avec des organismes divers, avec les écoles en réseau de fréquentation et de webdiffusion, sans oublier des participations autochtones aussi (Connected North), bien entendu l’existence des ateliers pédagogiques d’éducation à la musique classique et à l’Art Lyrique, tant de valeureux efforts de l’Opéra de Montréal s’y greffent. L’Arsenal déployé est fascinant : tout commence par les excellentes voix entraînées, disciplinées, dédiées des stagiaires, pendant deux ans, à l’Atelier lyrique de Montréal.
La Bohème: un des trois opéras les plus célébrés sur Terre (10 au 18 mai)
Comme cadeau de fin d’année, Puccini! On sait bien que l’opéra le plus populaire sur Terre avec Carmen de Bizet dispose de ces peintures marquantes de la passion artistique en un vaste tableau scénique rempli d’occurrences et d’analogies au temps présent. Cette universalité des dilemmes artistiques sera le rendez-vous ultime des mélomanes et abonnés qui auraient bondi de 20 pour cent depuis 2022, fait rare d’engouement au sein des compagnies d’opéra canadiennes, nous signifie-t-on.
Éblouissante fin de soirée à l’Atelier Lyrique de Montréal
Après un intermède un peu bousculé par lequel je me suis rendu écouter une heure de concert ou revoir une « nouvelle » (il a cent ans…cet espace) salle de concert qui fut jadis le 9e étage du Restaurant des employés du Grand magasin Eaton, je me suis senti rajeunir. Dans ce beau Montréal d’hier, il y avait en plus Morgan’s, Reitman’s, Dupuis Frères, Ogilvy’s, Simpson’s et le dernier des défunts Holt and Renfrew: des lieux de rêverie adolescente où nous allions jadis, gouailleurs, profiter des beaux décors et forcer les commis à s’adresser à nous en français!
Une acoustique qui ne rappelle pas la Chapelle historique du Bon Pasteur
En forme de navire ou de nef (c’est la même chose), j’ai donc revu en après-midi les grandes vasques de verre moulé, la fresque équestre fort équivoque entre femmes en tenues de jockeys aristocratiques, les médaillons gastronomiques en plâtre à la frise, puis le piano Fazioli (que j’ai trouvé, sans mauvais jeu de mots, un peu éteint) de la Chapelle historique du Bon Pasteur. Le voilà échoué là, dans l’intervalle des rénovations de la Chapelle qui ne commencent absolument pas au grand désarroi de Simon Blanchet (directeur de la Chapelle historique).
Ce piano, sur lequel on a entrepris de nous jouer du Gershwin, hier, puis la splendide sonate opus 19 pour violoncelle et piano de Rachmaninoff (conseils optimaux pour une version par Yo-Yo Ma et Emmanuel Ax-Sony 46486) a vu un désastre de plus se produire. J’y dois souligner une malencontreuse interruption de la part de la pianiste sans aucun moyen de mémorisation à sa disposition, évidemment: pour avoir trop fait confiance à l’électronique d’une partition, envolée sans crier gare, enfuie, évaporée dans l’éther de nos mirages si peu assurés: ainsi la partition disparut de son regard soudainement interloqué, paniqué.
Le violoncelliste plus prudent qu’elle, avait apporté la bonne vieille et fiable partition de papier qui ne pouvait elle se volatiliser devant lui, en courant, pour ruiner des centaines d’heures de pratique. Enfin passons sur les détails, l’objectif louable étant de faire revivre un espace pour la musique.
Six voix au-dessus de la mêlée à l’Ouverture de l’Atelier lyrique (Piano Nobile)
Toute la soirée (accompagnements au piano par Martin Dubé, Martine Jomphe et Jerome de los Santos) fut réjouissante et réussie en chacun des extraits opératiques (ou de récital). Notons cette actrice éloquente et accomplie qu’est la mezzo-soprano Ilanna Starr dans l’Heure Espagnole de Ravel, puis la polyvalente soprano Sophie Naubert superbe dans l’extrait des Mamelles de Tiresias où elle me fit songer aux enthousiasmes des anciens albums Poulenc de Felicity Lott à son heure de gloire, puis encore versatile dans cet autre répertoire et monde musical baroque si dissemblable du Semele de Haendel.
Le ténor Angelo Moretti fut solide et envoûtant partout (Mozart, Rossini) de même que le baryton Mikelis Rogers. Mais ce sont deux voix hors-pair, je me permets d’opiner en ce sens, soit la bouleversante et trépidante mezzo brésilienne Camila Montefusco et enfin le baryton Jamal Al-Titi -pourtant à sa toute première année à l’Atelier- qui remportent mon intérimaire Palme d’Or!
L’opus 14 no.11 intitulé Jaillissements du Printemps (Floods of Spring) interprété par ce jeune homme énergique m’a rappelé Nicolai Gedda accompagné par Alexis Weissenberg (ici Jérôme de los Santos) mais surtout la première fois où je l’avais entendu, en 1978, un rappel déchirant à la puissance d’émotion immanente à la langue russe (langue maternelle de Jamal).
J’étais encore innocent, adolescent, mais c’était alors chanté par Galina Vishnevskaya accompagnée par son mari Mstislav Rostropovich (on ignore souvent qu’il fut violoncelliste et pianiste). La même extase de volupté musicale m’y avait enveloppé, à 18 ans, que celle éprouvée mardi soir dernier.
Mille félicitations pour toutes ces avancées et initiatives de haute culture. Nous sommes choyés à Montréal.
Pour en savoir plus : Atelier Lyrique de Montréal
Photo : Tam photographie