La nouvelle production présentée au Théâtre du Nouveau Monde met en scène huit jeunes enfants dont Alice Bouchard et Marion Vigneault qui vivent sans aucun doute leur baptême scénique devant des salles combles. Fleuve offre aussi le concours de Karelle Tremblay et, bien entendu, de Sylvie Drapeau, l’auteure de l’adaptation de ses romans miniatures intitulés Fleuve, Le Ciel, l’Enfer et La Terre.
Ces quatre parties qu’Angela Konrad a mises en scène font une soirée de 105 minutes de quasi élégies fort poétiques durant lesquelles des figurants masculin et féminin viennent offrir leur silhouette sans jamais prononcer un mot mais en essuyant une table blanche construite comme une estrade ou en défilant pieds nus avec une seule moue au visage.
Aucun recours dialogique (sauf une recette de sauce à spaghetti offerte par la mère de la protagoniste). Drames intériorisés avec les viscères ou les déchirements du passé tortueux et accablant le coeur par cause de pertes et de deuils comme chacun doit en faire dans une vie courante, mais d’échanges dialogués… nenni!
On est en littérature, certes sublimant toute notion d’Art poétique de sorte qu’on fait un pied-de-nez en matière de genres littéraires à celui qu’on conçoit comme genre dramatique. Le dernier tableau intitulé La Terre m’a semblé le plus réussi, mais outre que ce sont des paroles de femme traumatisée par la vie, je me suis demandé si ce n’était pas plutôt à des Confessions auxquelles on avait droit, une marée haute d’émotions relatées pour chavirer ou expliquer comment on a chaviré dans sa vie. Moi qui ai lu passionnément, entre autres l’oeuvre entière de Saint-Éxupéry, Montaigne et de Jean-Jacques Rousseau, je me suis demandé si ce n’est pas à ce dernier auquel Sylvie Drapeau aurait dû songer: il eût l’heur de terminer son volet autobiographique par ses Dialogues de Rousseau juge de Jean-Jacques.
Ses Confessions furent lues à un public de duchesses et de princes de sang accourus pour entendre l’histoire de sa vie de laquelle on a tiré énormément d’enseignements. Je ne suis pas certain que Sylvie Drapeau, malgré de belles envolées littéraires, fasse jamais lecture privée de l’intégrale de ses romans miniatures mais ces évocations douloureuses ne savent pas dire leur nom ni s’inscrire dans le bon genre littéraire.
Aucun doute, c’est paroles de femme blessée ou déchirée par la vie. En tout cas, c’est un étrange théâtre. Quantité de gens, un soir de première, ont eu le cafard pour sortir de la salle. La majorité a tenté de rester concentrée afin de suivre un texte assez onirique jusque dans ses infinis méandres de Recherche du Temps perdu (peut-être enfin retrouvé).
Peu d’humour ou de dérision, tout fut incantation ou un euphorique éloge de la beauté de la nature de notre splendide pays québécois. Les effets visuels distraient peu ou offrent des visages fort beaux qu’on se divertit à observer, à lire: des physionomies d’enfants purs aux yeux magnifiques et aussi cette grande vision du fleuve qu’on a sur la Côte Nord ou du haut des Grands Monts ou du Massif quand le regard cherche à se transporter jusqu’aux Îles de la Madeleine.
En tant que fervent de la plus haute et la plus riche littérature de notre belle langue française, je puis attester que l’oeuvre cherche à rivaliser avec certaines des plus belles images d’Anne Hébert dans Les fous de Bassan, mais elle n’arrive pas à la cheville de la poétesse cousine de Saint-Denys Garneau. Je ne dis pas que la grande comédienne qu’est Sylvie Drapeau devrait réécrire plus efficacement pour la scène, mais, pour le moment, il n’y a là que quelques beaux échos. Le tout laisse songeur.
Théâtre du Nouveau Monde
Du 12 novembre au 7 décembre 2019
1 h 45 sans entracte
Photo ©Yves Renaud