Alors que je m’attendais à un pur divertissement et à une soirée sans conséquence, au Théâtre St-Denis, lors de la première médiatique de la comédie musicale Footloose, jeudi le 28 juin dernier, voilà que j’assiste à un spectacle qui me chavire, m’émeut et me fait revivre une partie de ma vie que je croyais avoir oubliée.
J’étais adolescent et je découvrais la musique et la danse. Le rock’n’roll, les blondes et la danse étaient interdits à la maison et à l’école. Il n’y avait qu’une salle de danse pour les ados que nous connaissions à Montréal, rue Saint-Denis : le CEOC. Tous les samedis soir on s’éclatait, en écoutant du Chuck Berry, Jerry Lee Lewis. Les Stones, Elvis. Un bon soir, mon père m’attendait derrière la porte de notre minable logement de l’Est de la ville. Il m’a engueulé comme jamais il ne l’avait fait auparavant en me traitant de dépravé, de minable qui allait gaspiller sa vie en traînant dans ces endroits de perdition avec cette musique du diable et en dansant avec des filles de mauvaises vies. Il m’interdisait finalement de sortir le samedi soir. Fini la danse.
J’ai revu cette scène de mon adolescence lors de la deuxième partie du spectacle Footloose lorsque le révérend Samuel Moore agresse verbalement le jeune Ren McCormack, interprété brillamment par Philippe Touzel, qui entreprend une démarche pour lever l’interdiction de la danse dans la petite ville de Bomont. En regardant cet affrontement, j’avais encore 17 ans et j’ai craqué. J’entendais mon père qui me disait à peu près les mêmes paroles sur le même ton. Nous étions pauvres, ma bande et moi, on n’avait pas d’auto, pas d’argent, pas d’avenir, pas encore de blondes. Tout ce qu’on avait pour se défouler et pour s’exprimer, c’était la musique et la danse.
Pour moi, c’est ça Footloose, une comédie musicale qui n’a rien de superficielle et qui n’a pas triomphé lors de sa création à Broadway en 1998 sans raisons. Il y a tout dans ce spectacle, dont la mise en scène, la traduction et l’adaptation relèvent de Serge Postigo et les chorégraphies de Steve Bolton. Il y a d’abord et surtout, toute l’énergie de la chanson Footloose en lever de rideau qui vous donne déjà envie de vous lever de votre siège. C’est de la danse, de l’acrobatie et une jeunesse qui éclate. Il y a aussi la vitesse de la transformation des décors : le gymnase, l’église, le pont Jacques-Cartier, la réunion à l’hôtel de ville de Bomont, les casiers des étudiants, le restaurant avec les serveurs chaussés de patins à roulettes…apparaissent et disparaissent à la vitesse de l’éclair. La scénographie de Pierre-Étienne Locas est tout simplement ahurissante. Je dirais de même pour le travail de Serge Postigo, le maître d’œuvre de cette comédie musicale qui a magistralement coordonné tous les talents impliqués dans ce spectacle. Soulignons tout d’abord qu’il a auditionné pas moins de 850 artistes avant de distribuer les rôles. Il a, par la suite, su mélanger des performances musicales, acrobatiques et théâtrales avec la mesure des grands metteurs en scène. Il a aussi osé mélanger les langues française et anglaise, joual des jeunes et français pointus des parents. Il a conservé la version originale anglaise des classiques que sont devenues les chansons Footloose, Let’s hear it for the boy, Almost paradise, Holding out for a hero, en traduisant les autres.
Les vedettes du spectacle sont de toute évidence, Philippe Touzel et Éléonore Lagacé qui interprètent le couple romantique formé par Ren McCormak et Ariel Moore. Touzel m’a fait penser à James Dean alors que Éléonore Lagacé, la fille de Nathalie Choquette, ne ressemble à personne. C’est déjà un personnage, une super douée qui maîtrise la musique avec une voix particulièrement fluide passant du rock à la chanson sentimentale avec un égal bonheur. Les journalistes l’ont d’ailleurs consacrée révélation du spectacle.
Dominique Côté interprète pour sa part, le rôle du révérend Samuel Moore et Tommy Joubert, celui de William Hewitt, le meilleur ami de Ren McCormack. Danièle Lorain, délicieuse et drôle dans le rôle de Betty Blast, sur patins à roulettes.
Il y a une foule de comédiens, danseurs, acrobates, musiciens sur scène et d’imposants décors, des éclairages énergisants et pourtant un scénario fort simple. Un jeune homme (Ren McCormack) arrive à Bomont et constate qu’une loi imposée par le conseil municipal interdit la danse dans cette ville. Le jeune McCormack qui n’a pas froid aux yeux mène une campagne pour abolir cette loi. Les jeunes l’appuient dont Ariel Moore qui est la fille de celui qui contrôle le conseil municipal, le révérend Moore. On imagine le conflit quand on sait que Ariel est amoureuse de Ren. De plus, on apprend que le révérend Moore a perdu son fils lors d’un accident lors d’un party bien arrosé avec des filles et de la danse. Heureusement tout s’arrangera à la fin comme dans toutes les productions américaines.
Il n’en demeure pas moins que l’œuvre de l’Américain Dean Pitchford aborde avec tout l’enrobage musical, les thèmes de la censure, de la liberté d’expression et des conflits de générations d’hier et d’aujourd’hui. Depuis les soirées de danse rock’n’roll jusqu’aux raves, c’est toujours la jeunesse qui crie et danse sa rage de vivre…à son tour.
Notes : La comédie musicale Footloose est présentée au Théâtre Saint-Denis jusqu’au 5 août.
Photo: Sébastien Jetté