L’humour est au coeur du spectacle Graces que la chorégraphe Silvia Gribaudi présente avec trois danseurs, cette semaine, à la Place des Arts. Qu’est ce qui est beau ? Qu’est ce qui ne l’est pas ? Espiègle, l’Italienne s’inspire de la sculpture Les Trois Grâces, créée au XIXe siècle par Antonio Canova et devenue une référence universelle de la beauté, des proportions et de la mesure. Deux siècles plus tard, la performeuse et ses partenaires, en sous-vêtements et chaussettes noirs, cherchent de nouvelles significations au mot «grâce».
La beauté doit-elle faire consensus ? Peut-on trouver beau ce qui ne fait pas l’unanimité ? D’entrée de jeu, Gribaudi déclenche des rires dans la salle avec son insistante recherche d’approbation des spectateurs. Dès les premiers pas de danse de ses collègues Matteo Marchesi, Siro Guglielmi et Andrea Rampazzo, elle regarde le public en ouvrant les bras comme le font, entre autres, les animateurs de gala pour indiquer qu’il est temps d’applaudir.
Alors que le sculpteur vénitien avait choisi de représenter les grâces avec trois modèles féminins, Gribaudi, elle, est entourée de trois danseurs qui incarnent, à leur façon, les filles de Zeus : Aglaée, Euphrosine et Thalie, représentant la splendeur, la joie et la prospérité. Mais, que signifie chacun de ces mots ?
Taquine, Gribaudi amène les spectateurs à dire ce que représente pour eux la prospérité. Les enfants, l’argent, les voyages, etc., la liste s’allonge rapidement. À chaque réponse qui s’ajoute, le public est invité à répéter tous les mots qui symbolisent la prospérité aux yeux des gens réunis pour cette représentation. Chacun endosse ainsi les réponses des autres spectateurs et tout le monde rit de bon coeur de cette unanimité un peu superficielle.
À plusieurs moments, la chorégraphe observe ses trois excellents interprètes qui maîtrisent les codes de la danse classique, tout en se prêtant eux aussi à l’ironie qui caractérise le langage de Gribaudi. Cette dernière agite parfois malicieusement une main de gauche à droite comme pour manifester ses réserves face à l’un de ses danseurs. La beauté n’est donc plus un concept figé. On peut se dissocier des modèles mis de l’avant.
Les références à la sculpture antique côtoient le clownesque et le music-hall. Munis de leurs bouteilles d’eau, les danseurs en recrachent une partie au sol, ce qui leur permet de glisser sur scène tels des poissons projetés par une vague. Vêtue de ce qui semble être un maillot de bain deux pièces, Gribaudi assume joyeusement son adiposité; elle se recroqueville pour tournoyer sur la scène en partie recouverte d’eau, au son d’un rythme swing endiablé !
À maintes reprises durant la soirée, la chorégraphe hoche la tête de haut en bas pour commenter positivement différentes scènes du spectacle, ou les réponses du public à ses questions. Pince-sans-rire, elle nous amène ainsi à réfléchir à notre rapport à la beauté. Est-il fait d’idées reçues ? Sommes-nous capable de voir de la beauté là où la plupart des gens n’en voit pas ?
Graces m’a toutefois laissé sur ma faim. Même s’il a été couronné meilleur spectacle de l’année par le magazine italien Danza & Danza, en 2019, son potentiel comique ne me semble pas pleinement exploité. Il faut dire aussi que ces gais lurons seraient sans doute plus à l’aise dans une moins grande salle mais, Danse Danse souligne que seul le Théâtre Jean-Duceppe était disponible, cette semaine.
On passe, néanmoins, un bon moment avec ce quatuor empreint d’autodérision. En plus de faire rigoler le public, la chorégraphe ose amener le spectateur à une audacieuse introspection. Gribaudi a créé un jeu insidieux qui pourrait transformer votre regard : le jeu de la beauté !
Graces / Silvia Gribaudi
Présenté par Danse Danse
Au Théâtre Jean-Duceppe, Place des Arts
11 / 12 / 13 / 14 et 15 octobre à 20h
Durée : 60 minutes
Rencontres avec les artistes : mercredi 12 et vendredi 14 octobre
Photo d’accueil : Fabio Sau.