Soir de première à la Place des Arts, où les Grands Ballets ont enfin pu présenter leur chorégraphie tant attendue sur la musique du monumental Requiem de Brahms. Retardée depuis deux ans, à cause de la pandémie, cette poignante création d’Andrew Skeels évoque le souvenir de nos défunts qui même longtemps après leur mort, restent vivants en nous. Plus de 30 danseurs donnent vie à cette pièce méditative au son de l’Orchestre des Grands Ballets avec choeur et solistes sous la direction d’Adam Johnson. Compte rendu d’une soirée mémorable!
Des mouvements d’ensemble d’une grande précision

Crédit : Sasha Onyshchenko
D’entrée de jeu, une lune (ou un soleil blafard) est projetée sur un immense écran à l’arrière-scène, alors qu’une branche d’arbre sans feuilles pend au-dessus de la scène. Les premiers mots du choeur, «Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés», donnent le ton à tout ce spectacle empreint des émotions du deuil, tout en étant tourné vers la lumière et l’espoir.
À genoux, des danseurs portent une main à l’abdomen et retiennent un cri de douleur, mais ils se relèvent ensemble et poursuivent leur route les bras tendus vers le haut.
Dans cette chorégraphie contemporaine, Andrew Skeels a conçu des mouvements d’ensemble d’une précision qui suscite l’émerveillement! Comment ne pas s’émouvoir, entre autres, devant ces corps couchés sur la scène qui ouvrent leurs bras dans un mouvement circulaire d’une telle exactitude qu’on croirait apercevoir un chemin qui se dessine au-dessus d’eux. Saisissant!
La chute d’un danseur entraîne celle de ses proches en cascade comme une vague qui les emporterait tous. Mais, le mouvement ne tarde pas à reprendre à l’instar de la démarche de Brahms lui-même qui a composé cette oeuvre pour transcender le chagrin causé par la mort de sa mère et celle de son ami et mentor Robert Schumann.
Chanteurs
Puisque le deuxième mouvement de l’oeuvre ne figure pas au programme du spectacle, on passe au troisième mouvement, où le baryton Dominique Côté reprend avec ferveur les versets du Psaume 39, demandant à Dieu d’enseigner à chaque âme humaine le caractère inévitable de la mort. De son côté, la soprano Jacqueline Woodley livrera avec douceur, au cinquième mouvement, un message d’espoir promettant le réconfort face à la douleur.
Sobriété
Les costumes sobres de Marija Djordjevic ajoutent à la beauté de l’ensemble, sans distraire le spectateur qui demeure envoûté par les mouvements de ces corps connectés les uns aux autres.
Le triomphe de l’espoir

Crédit: Sasha Onyshchenko
Les éclairages doux à l’oeil et jamais éblouissants ajoutent au mystère de ce bouleversant périple. La lune qui apparaissait dès le début du spectacle parcourra l’écran en se déplaçant de façon presque imperceptible de l’extrême gauche pour arriver près d’une heure plus tard à l’extrême droite. À ce moment où se termine le voyage, revient le mot entendu en ouverture d’Un Requiem allemand: «selig » (bienheureux)… Ils se reposent de leurs travaux car leurs oeuvres les suivent.»
On dit qu’une fois son Requiem achevé, Brahms a exprimé sa satisfaction en écrivant : «Maintenant, je suis consolé. J’ai surmonté des obstacles que je pensais ne jamais pouvoir franchir, et je me sens comme un aigle, planant toujours plus haut.» C’est aussi ce qui se dégage de cette chorégraphie lumineuse qui, au bout du compte, aura peut-être bénéficié des recommencements imposés par la pandémie.
Mozart

Crédit: Sasha Onyshchenko
En première partie, les Grands Ballets interprètent Jeunehomme d’Uwe Scholz, au son d’une oeuvre célèbre de Mozart : le Concerto pour piano no 9 en mi bémol majeur, dit «Jeunehomme». Le pas de deux issu de cette chorégraphie avait été présenté lors du programme mixte intitulé Carmen, à l’automne 2022. Les Grands dansent maintenant la pièce complète, en trois mouvements qui totalisent un peu plus d’une demi-heure. Six couples et trois solistes portent cette élégante entrée en matière, au son de l’Orchestre des Grands Ballets et de la pianiste soliste Rosalie Asselin.
Un spectacle diversifié
Il va sans dire que la présence de musiciens «live», dirigés efficacement par Adam Johnson, est un atout de taille, comparativement aux habituelles musiques enregistrées. De plus, les deux chorégraphies interprétées puisent dans des styles musicaux fort différents et constituent un spectacle diversifié où l’on ne s’ennuie pas. Le sommet de la soirée est évidemment le Requiem qui saura émouvoir même ceux et celles qui ne sont pas des habitués des spectacles de danse.
Ce programme remarquable est présenté jusqu’à dimanche à Montréal, avant d’être offert à Sherbrooke, à la fin de mars. À ne pas manquer!
Grands Ballets / Requiem
Salle Wilfrid-Pelletier, jusqu’au 26 mars
*Photos fournies par les Grands Ballets