Le chef d’oeuvre de Kander et Ebb, la comédie musicale «Cabaret», est présenté au Monument National de Montréal jusqu’au 24 mai par Contact Theatre. J’étais à la Première hier soir et les interprètes nous ont ému, l’ambiance était sulfureuse, excentrique et troublante. Une comédie au début, puis un choc tragique comme finale. On en ressort secoué mais content d’avoir passé une belle soirée riche en émotions et ravis par les numéros musicaux bien connus.
Berlin 1930, le Kit Kat Klub est un cabaret décadent mené par un Emcee éclaté. Sally y est le centre d’attention lorsqu’arrive le bel américain Clifford. Sa chambreuse (Fräulein Schneider) tombe amoureuse de Herr Schultz (de descendance juive). Les intrigues se corsent quand une idylle se développe entre Clifford et Sally, et Fräulein Schneider qui doit rejeter son amoureux à cause de la montée nazie. Ce qui semblait être une histoire drôle devient alors un drame sombre à la fin.
Wow! Quelle belle mise en scène de Debora Friedmann qui permet des enchaînements rapides et un rythme soutenu pour nous tenir en haleine malgré la longueur du premier acte. Elle a su injecter un bel équilibre entre l’humour grinçant et le drame glaçant, tout en créant une ambiance de voyeurisme. Si vous achetez un billet VIP, vous ferez partie du spectacle, assis à une table de ce cabaret décadent.

Mairead Rynne mène le spectacle d’une main de maître du début à la fin dans le rôle du Emcee (maître de cérémonie). Son «Willkommen» donne le ton dès le début avec son charisme, son excentricité, brisant souvent le quatrième mur avec le public. Capable de belles nuances pour mieux passer l’émotion, sa voix peut être puissante quand il le faut. Sans oublier un très beau falsetto dans «If You Could See Her». Seul défaut, son accent allemand est parfois assez fort qu’on a de la difficulté a saisir tous les mots.
Julie d’Entremont (Sally) n’était pas à son meilleur hier soir à cause d’une extinction de voix. Elle a quand même offert une belle performance d’actrice. Toujours intense dans son jeu, elle a été particulièrement émotive dans «Maybe this time» et chaudement applaudie. Je lui souhaite de se rétablir rapidement pour mieux apprécier sa voix chantée.

Le rôle de l’américain Clifford est joué par Joel Bernstein, avec un sourire qui le rend sympathique et charmant. Mais il se fait souvent timide, comme pour laisser la place à sa compagne Sally. Il chante d’une belle voix chaude dans quelques chansons, dont «Perfectly Marvelous».
Le couple formé par Herr Schultz et Fräulein Schneider est joué à merveille par Daniel Wilkenfeld et Lena Maripuu. Un peu jeune pour ces rôles, ils s’en tirent assez bien en nous offrant de beaux moment touchants. On remarque Daniel (Schultz) pour sa voix chaude, puissante dans les aigus avec un beau vibrato léger. Lena (Schneider) parle plus qu’elle chante dans ses chansons (comme «So what»). Elle a une voix grave, mais est bien meilleure quand ses chansons montent dans les aigus.

Ces deux là ensemble (Schultz et Schneider) donnent de belles scènes qui rendent plus légers le propos. Il faut dire que j’ai toujours adoré la chanson de l’ananas «It Couldn’t Please Me More». Leurs deux voix vont vraiment bien ensemble quand ils chantent en harmonies.
Les autres rôles de danseurs/danseuses sont les éléments forts du spectacle. On en remarque plusieurs, dont Erin Yardley-Jones (Kost) et ses multiples matelots, tous aussi drôles les uns que les autres. Mais c’est dans leurs numéros de groupe quand ils chantent et dansent ensemble qu’ils sont à leurs meilleurs, exprimant une liberté sexuelle et une joie de vivre libre absolue.
Les chorégraphies voluptueuses sont les moments les plus appréciés. J’ai remarqué le superbe «Mein Herr», la chanson «Money» qui met aussi en évidence l’excellent orchestre, et le numéro éclaté au retour de l’entracte. C’est parfois osé mais jamais déplacé, avec quelques nudités partielles qui ne sont jamais gratuites. On le doit probablement à Jade le Pape, la directrice d’intimité.
La chanson «Two Ladies» surprend grâce à une utilisation originale de marionnettes en ombres chinoises.

Chapeau aux éclairages très léchés dans plusieurs scènes, ça ajoute à l’ambiance. Même chose pour les costumes des filles et des gars du Kit Kat Klub qui sont pour la plupart assez suggestifs.
Comme si je gardais le meilleur pour la fin, l’orchestre de 8 musiciens sous la direction de Giancarlo Scalia vaut le déplacement à lui tout seul. Ils sont vraiment un pilier du spectacle et offre une performance énergique.
Après avoir vu une multitude de productions de Cabaret à travers les années, j’appréhende toujours l’interprétation du numéro final qui est assez intense et dramatique. Cette nouvelle production ne déçoit pas du tout, réussissant même a me donner quelques frissons dans le dos. Pour ceux qui aiment les fins heureuses, s’abstenir!
En résumé, cette production de Cabaret du Contact Theatre est à voir pour son ambiance et une mise en scène originale qui permet de s’amuser tout en portant une réflexion sur un monde toujours d’actualité. On aime faire la fête avec eux sur des numéros et des chansons intemporelles, mais la fatalité nous attend au détour.
Je recommande de voir ce spectacle pour passer une belle soirée musicale et enivrante, tout en ayant beaucoup de matière à réflexion en sortant du théâtre.
Les bons coups: mise en scène, jeu de certains acteurs, orchestre, éclairages, numéros de groupe
Les moins bons coups: voix inégales
Équipe de création
Musique: John Kander
Paroles: Fred Ebb
Livret: Joe Masteroff
Production: Ally Brumer
Mise en scène/Chorégraphies: Debora Friedmann
Direction musicale: Giancarlo Scalia
Éclairages/Décors: Malika Pharand
Accessoires: Katie Dodd
Marionnettes: Chris Wardell
Sonorisation: Carmen Mancuso
Costumes/Coiffures/Maquillages: Violette Maréchal
Perruques: Cait Hawes
Chorégraphies de combat: Justin Calla
Direction d’intimité: Jade le Pape
Direction technique: Katrin Dodd
Distribution
Mairead Rynne (EmCee), Julie d’Entremont (Sally), Joel Bernstein (Clifford), Jonathan Vanderzon (Ernst), Daniel Wilkenfeld (Schultz), Lena Maripuu (Schneider), Erin Yardley-Jones (Kost), Maya Lewis, Michelle Laliberté, Courtney Crawford, Caeleigh Mcdonald, Alexandra Abitbol, Little Star, Julianna Willso, Santiago Montej, Marc Ducusin.
Musiciens
Giancarlo Scalia, Meiling Fong, Nicholas Gallant, Nik Kaeser-Reis, Noah Century, Parker King-Fournier, Mathieu Lahaie, Jason Ma.
Monument National (1182 Boul. St-Laurent, Montréal)
Présenté en anglais du 16 au 24 mai 2025 à 19h30.
Billets en vente (50$/VIP 70$) au https://www.contacttheatre.ca/cabaret
Durée: 2h40 avec entracte
Photos: Matthew Sandoval