Le Théâtre du Rideau Vert présente la comédie musicale «L’homme de la Mancha» jusqu’au 9 novembre, et c’est à ne pas manquer. Gagnant de 2 Tony en 1966 (meilleure comédie musicale et direction), cette oeuvre magistrale a été adaptée en français par Jacques Brel qui en a fait son cheval de bataille littéralement après l’avoir vu à Broadway. L’histoire donne l’espoir d’un monde meilleur et les chansons sont toutes aussi inspirantes les unes que les autres, particulièrement le grand succès «La quête» (traduction de «The Impossible Dream»). On peut même tracer un parallèle d’espoir avec la manifestation du défi climatique qui avait lieu le même jour où j’ai vu le spectacle. Les acteurs et chanteurs sont tous excellents, et Jean Maheux dans le rôle-titre est tout simplement brillant. C’est un spectacle qui a joué avec les mêmes interprètes (à une exception près) de 2002 à 2009 plus de 150 fois, il ne faut pas manquer votre dernière chance d’aller les voir habiter à nouveau ces multiples personnages.

À Séville au 16e siècle, l’auteur Miguel de Cervantes et son valet sont emprisonnés dans une salle commune de l’Inquisition. Questionné par les prisonniers, Cervantes leur propose de leur raconter l’histoire de l’homme de la Mancha en utilisant les accessoires et costumes de son grand coffre. Chaque prisonnier y tiendra plusieurs rôles. L’auteur devient ainsi Alonso, puis le chevalier Don Quichotte partant combattre le mal. En route, il se bat contre les géants (moulins à vent), s’arrête à l’auberge devenue château et rencontre la cuisinière Aldonza transformée en noble dame Dulcinéa. L’aubergiste changé en Seigneur le sacre chevalier. De retour dans son village, Alonso entouré du curé (Padre) et de sa gouvernante est mourant, mais Aldonza le fait revivre une dernière fois en Don Quichotte. L’histoire se termine quand Cervantes est appelé au tribunal de l’Inquisition avec l’espoir d’y plaider sa cause, laissant les autres prisonniers dans l’impossible rêve.
La mise en scène de René Richard Cyr est un des clés de ce succès. Il a su créer des personnages authentiques et intemporels qui racontent un classique, sans nous ennuyer une seule seconde grâce à un texte intelligent et humoristique. L’espace concret (la prison) sert de toile de fond pour nous évader dans un monde imaginaire poétique mais bien réel. Des décors ingénieux et des éclairages hypnotisants réussissent à créer les effets spéciaux comme les moulins à vent qui deviennent des géants.

Les chansons sont remarquables, parfois des vers d’oreille qu’on fredonne après le spectacle. La chanson-thème «L’homme de la Mancha» pour débuter le spectacle est un duo entraînant de Don Quichotte et Sancho. On est porté par les harmonies vocales quand tout le groupe se met à chanter, particulièrement dans «Chacun sa Dulcinéa». Mais c’est la chanson «La quête» terminant le premier acte et repris encore plus intensément à la fin qui donne des frissons d’émotions dans le dos. Le directeur musical Chris Barillaro accomplit un miracle avec seulement trois musiciens, auxquels se joint un des acteurs (Stéphan Côté) à la guitare. Lors de «La quête», Sylvain Scott qui joue Sancho y ajoute même une touche d’accordéon pour un son plus rustique.
Jean Maheux dans le rôle principal est tout simplement brillant. L’intensité de son jeu et la force de son personnage fait tourner tous les autres personnages autour de lui. Vocalement il est aussi surprenant et parfait avec une voix agile autant dans les notes profondes que dans la puissance des notes aigües. On sent sa sensibilité et ses nuances dans la chanson «Dulcinéa» jusqu’à l’intensité du dernier refrain, tout comme pour «Le casque d’or de Mambrino». Sa chanson «La quête» est expressive et solide, tout en puissance et avec un superbe vibrato naturel.
Son serviteur Sancho, joué par Sylvain Scott, l’accompagne à merveille grâce à son jeu naturel et une magnifique voix solide pour appuyer Cervantes dans ses duos. Éveline Gélinas dans le rôle de Dulcinéa ou d’Aldonza a gagné en maturité depuis que je l’ai vu dans le même rôle il y a plus de 10 ans. Sa chanson «Pourquoi fait-il toutes ces choses» montre les nuances de sa voix avec une certaine sensualité vocale. Elle est particulièrement touchante dans «Aldonza», une très belle chanson qui met en valeur son jeu et l’énergie dans sa voix de poitrine, toujours juste, même quand elle s’amuse en voix de tête.

Les autres interprètes ont de plus petits rôles mais sont tous aussi bons. On remarque Stéphan Côté dans «Gloria» avec sa belle voix grave et ses talents de guitariste quand il n’a pas à jouer un de ses multiples rôles. La chanson «Vraiment je ne pense qu’à lui» est un petit bijou qui met en valeur le trio Roger La Rue (Padre), Michelle Labonté (Gouvernante) et Joëlle Bourdon (Fermina). Chacun invente un personnage haut en couleur qui nous donne de beaux moments drôles durant la chanson, avec de belles voix expressives qui s’entrecroisent pendant un superbe contrepoint. On ne peut non plus oublier la face que fait Michelle Labonté quand elle interprète la femme de l’aubergiste, méconnaissable et hilarante.
«L’homme de la Mancha» est un classique intelligent et divertissant qui ne vieillit pas, avec de superbes chansons. Les interprètes de cette production sont nés pour jouer ces rôles. Celle qui m’accompagnait a trouvé le spectacle un peu long, mais j’ai vraiment apprécié pour ma part les 2h10 (avec entracte) d’une histoire et de chansons porteuses d’espoir. Je recommande fortement de voir cette comédie musicale qui plait à tous les publics.
Les bons coups: interprètes, jeu et voix, chansons, mise en scène, scénographie, orchestre
Les moins bons coups: scène un peu petite

Équipe de création
Livret: Dale Wasserman
Musique/Paroles: Mitch Leigh / Joe Darion
Adaptation française: Jacques Brel
Mise en scène: René Richard Cyr
Direction musicale: Chris Barillaro
Arrangements musicaux: Benoît Sarrasin et Chris Barillaro
Décors: Réal Benoît
Costumes: François Saint-Aubin
Accessoires: Normand Blais
Éclairages: Étienne Boucher
Sonorisation: Martin Lessard
Maquillages/Coiffures: Sylvie Rolland Provost
Distribution
Joëlle Bourdon (Fermina), Stéphane Brulotte (Carrasco), Stéphan Côté (Aubergiste), Éveline Gélinas (Aldonza), Michelle Labonté (Gouvernante), Roger La Rue (Padre), Jean Maheux (Cervantès), Sylvain Massé (Pedro), Sylvain Scott (Sancho).
Musiciens
Chris Barillaro, Peter Colantonio, François Marion.
Présenté en français au Théâtre du Rideau Vert (4664 rue St-Denis, Montréal) du 24 septembre au 9 novembre 2019.
Billets en vente (75$, prix spéciaux pour moins de 30 ans et plus de 65 ans) au https://www.rideauvert.qc.ca et au 514-844-1793.
Photos: David Ospina