La Cinémathèque québécoise présente Bande-son pour un coup d’État, un documentaire ironique, satirique, parodique, fort puissant en son centre d’art et d’essai, salle Fernand Séguin.
On y revoit les facétieuses tentatives de l’ère peu glorieuse du président et ex-général Dwight Eisenhower de bien vouloir faire semblant de feindre une ouverture humaniste aux peuples africains cherchant à se libérer des emprises de la Belgique (ce riche Congo du sacrifié Patrice Lumumba), de même que tous ces pays sous le joug de la France (le jeune courageux Ibrahim Traoré de notre époque s’y attèle encore!) et de l’Angleterre.
Le répugnant Allen Dulles
Une figure odieuse parmi tant de magnats américains réapparaît chaque fois à l’écran, soit celle de Allen Dulles qui nous ment sans relâche à l’écran en se moquant des cinéastes et journalistes le filmant. Il rit de répondre, fourbi de ruses, en connaissance de cause, sur les actions de la CIA à travers le monde entier. C’est l’angélisme américain!
Campagne musicale de relations publiques
Le véritable propos du film montre surtout combien les artistes jazz et tous noirs (Louis Armstrong, Ella Fitzgerald, même Nina Simone entre vingt autres) de l’époque ont été utilisés et dupés à sillonner, par séduction, les villes ou contrées de leurs frères et soeurs noirs, soit toute l’Afrique entière, via une tournée générale davantage une campagne de relations publiques.
Faire ainsi chanter, danser et rêver par des applaudissements nourris, ces peuples noirs assurait la posture voulue par l’Amérique d’être, en apparence, du côté des droits humains. On atteignait ce but par un écran de fumée.
Diviser pour mieux régner
Seconde étape: tout mettre en oeuvre pour se débarrasser énergiquement de figures brillantes comme Patrice Lumumba (Congo), Amilcar Cabral (Guinée Bissau), Kwame Nkrumah (Ghana) mais surtout mettre tous et chacun en conflit les uns avec les autres. Pots de vin, non seulement suborner les chefs politiques mais ruiner toute entrave aux profits monstrueux des entreprises minières exploitant l’immensément riche province du Katanga, pour seul exemple. L’accusé et coupable: Dag Hammarskjöld, Suédois alors à la tête de l’ONU. Il ne servait que ses maîtres.
Septembre 1960, les plus grands à l’ONU
Les figures d’orateurs légendaires s’assemblent dès lors à l’ONU et défilent à l’écran: l’Indien C chacun et tous plus éloquents les uns que les autres à contredire les billevesées des Américains, mais surtout les offuscations des Belges. On ajoute les sentencieuses réflexions du brillant Malcolm X, puis se succèdent devant nous les figures traîtresses de Moïse Tchombe et le fameux président Kasa-Vubu sans oublier la pire figure de toutes, celle de Joseph Mobutu.
Le tableau est splendide de rappels. Il nous a fallu des mois et des années de lecture patiente et d’investigation mais voilà que tout ce résumé bouleversant des faits surgit à l’écran.
Et aujourd’hui, où sont les valeureux?
Forcément, ce tableau, cette fresque politique des libérations nationales africaines interroge le présent: notre traumatisante détresse humanitaire, politique et la démission journalistique actuelle peuplée de traîtrise et d’opportunistes.
Aujourd’hui, que fait-on? On traque les dissidents qui sont automatiquement terroristes s’ils ne sont pas du côté du pouvoir. Se ment-on en ce moment inutilement? Oh, que de leurres, de mensonges tirés à millions d’exemplaires, que de censure appuyée par la prose des domestiques médiatiques.
Les artistes chantent, dansent, jouent
C’est, en effet la lâcheté partout quelque vernis qu’on mette à divertir par mille concerts et récitals le public consterné: les artistes ou esthéticiens engagés à se produire (luttant pour leur survie) mais surtout agissant pour le maintien des applaudissements envers ceux qui nous asservissent de mécénat (douteux retour des profits faramineux). Voilà le monde entier.
Servilités, opportunismes, le totalitarisme est ici en nouvelle mode atomisant chacun penché sur son petit écran de téléphone: ce totalitarisme de l’obéissance au salariat minimal pour survivre et consommer…il s’étend sur le monde. La Cité est occupée: les projets politiques ou environnementaux sont en veilleuse, vidés de priorités et sans regards sur la justice. Près de nous, les plus gourmands des ogres politiques partent à la conquête de territoires plus grands que tout ce qu’ils sont eux seuls (les USA avalant d’appétit l’immense Canada). Que cette grenouille sache se faire plus grosse que le boeuf…
Notre grandeur de Québécois
Ce très percutant film documentaire nous invite à réfléchir: il faudra réécouter les paroles de la chanson Avec nos yeux de Gilles Vigneault composée sur la sublime musique du grand Claude Léveillée pour se consoler de ne pas être tous restés dupes des puissances avides. Notre poésie se pare de vraies richesses. Jusqu’à quand les Hommes vivront-ils d’amour?