Ce fut un magnifique programme de chansons envoûtantes et de très belles poésies françaises (paroles hélas non fournies en texte au public, une déplorable supposée économie de papier) mises en musique par Claude Debussy et ses amis compositeurs parmi lesquels Gabriel Fauré, Charles-Marie Widor, Reynaldo Hahn, Camille Saint-Saens.
Incontestablement, ce fut un récital idéal pour se cultiver en poésie, car comme le dit la grande mezzo Christa Ludwig: «Si un chanteur possède un talent merveilleux mais qu’il n’a acquis aucune culture ni à l’école ni chez ses parents, il va précisément constituer le modèle de ce qu’on appelle un idiot de chanteur.» (Ma voix et moi par Christa Ludwig, Paris, 1996 Éditions les Belles lettres, p 188). Près de cent cinquante personnes étaient venues enthousiastes, en ce lundi soir pluvieux du 19 février, à la salle Pollack. Un tel programme somptueux de chansons comportait notamment une rareté de grande beauté composée par André Mathieu sur le poème de Paul Verlaine intitulé Colloque sentimental, texte mis brillamment en musique splendide par le Québécois méconnu à la vie beaucoup trop tragique.
C’est la soprano Brittany Rae qui a fait profiter le public de cette beauté québécoise signée Mathieu. (Brittany Rae dont on a déjà parlé élogieusement ici à lesartsze.com -voir l’Opéra Lucia di Lammermoor). L’éblouissement fut authentique devant plusieurs des talentueuses voix de la faculté de musique de l’Université McGill toutes accompagnées au piano par le versatile professeur et accompagnateur renommé Michael McMahon. Je ne peux m’empêcher de distinguer, parmi toutes ces belles voix étudiant chez nous, à Montréal, les prestations de Charlotte Siegel à la voix souple et vaste dans la belle oeuvre Clair de lune de Gabriel Fauré. Au-dessus du groupe de jeunes chanteurs en formation, déjà de fort bon niveau, dans une oeuvre de Gabriel Fauré aussi, une voix me semble davantage à surveiller.
Cette voix solide me rappelle, en qualité sonore bien sûr, non pas en texture identique, les frémissements que me donnaient, jadis, les récitals inoubliables de Philippe Sly, baryton radieux à la blondeur orphique déjà renversant quand il était simple étudiant à McGill et devenu, depuis lors, assez célèbre parmi les plus prometteurs de la nouvelle génération. Je veux donc parler maintenant de Jean-Philippe McClish, baryton-basse aussi remarqué dans la récente production de Lucia di Lammermoor.
Cette fois-ci, McClish figurait dans du Gabriel Fauré, sur le poème fameux Il pleure dans mon coeur de Paul Verlaine. Il jaillit de cette belle voix profonde appartenant à Jean-Philippe McClish un retentissement, audible dans toute la salle, un envol d’une chaleureuse lumière, sensuelle, y compris une auréole de sonorités puissantes et tendres à la fois, aux harmoniques veloutées. McClish revint encore plus tard, à la fin du récital, tout aussi solide en duo avec la professeure soprano Dominique Labelle. J’ai noté par ailleurs de très belles interprétations aussi de la soprano Audrey-Ann Asselin dans Green encore sur les paroles de Il pleure sur mon coeur mises en musique par Claude Debussy.
Finalement, mentionnons aussi la belle prestation de la mezzo-soprano Sarah Bissonnette dans la poésie de Verlaine Le vent dans la plaine mise en musique par Camille Saint Saens. Il ne manquait à ce récital que quelques splendeurs des chansons d’Ernest Chausson, cet éternel compositeur oublié ou sous-estimé voire aussi un peu de ces beautés de Jules Massenet même si le récital devait être uniquement dévolu à Debussy et ses seuls amis (Chausson était un proche de Debussy, pas Mathieu qui n’était pas né à la mort du composteur français). Beau et agréable succès d’ensemble chez tous ces jeunes artistes! Je termine sur une mention essentielle, cette fois donc, en cette année de concours international de chant à Montréal, en mai prochain: l’annonce récente que Anna-Sophie Néher, soprano de McGill, se retrouve parmi les sélectionné(e)s pour la prochaine édition du CMIM catégorie Mélodies! Bravo!
N.B. Retour au format de ce récital que j’ai pu apprécier en poésie et musique pour y avoir apporté, par intuition j’imagine, les partitions de toutes les oeuvres chantées dont j’ai longtemps enseigné les textes dans mes classes de littérature: il me faut noter que les étudiants des autres facultés de l’université McGill que celle de la musique voulant se détendre en ce beau soir de poésie et chanson française -donc voulant venir entendre leurs confrères et talentueuses consoeurs musiciens du campus- se voient imposer un billet à 12 dollars d’entrée payable par carte bancaire seulement.
D’une part, cette façon de tarifer la présence est un obstacle non conforme à l’esprit universitaire de diffusion de la grande culture qui élève et éduque au juste bon goût culturel (c’est aussi franchement trop cher pour des jeunes qui ont eu le courage de marcher en se faisant matraquer (5) cinq mois de temps, en 2012, pour une certaine gratuité ou accessibilité scolaire ou culturelle essentielle à leur développement, pas seulement minimale). D’autre part, cette tarification prive les élèves stressés de tant d’examens et travaux d’un mode d’élévation de l’âme par la musique mais aussi d’entendre, au sommet de sa beauté, la haute poésie française qui rend bilingue et rassérène le coeur humain qui a besoin de cette détente. Ajoutons à cela encore, le plus déplorable: on n’a pas la clairvoyance de fournir les paroles des quelques poèmes de ces chansons à textes qui se répètent maintes fois en une seule soirée malgré le 12 dollars payé!!!
La doyenne de la Faculté de musique devrait comprendre, qu’ici, à Montréal, ville d’expression française, que de soumettre, comme autrefois, aux yeux du public les poésies françaises aide également à rendre bilingues les étudiants de McGill, heureux auditeurs de tels beaux concerts incomplètement appréciés si la langue française en sa plus belle expression est ôtée par manque de jugement très chiche. Pourquoi d’insipides coupures et de pareils freins à l’élévation de l’âme de jeunes artistes de vingt ans, génération déjà pathétiquement magnétisée à des téléphones et des ordinateurs trop envahissants leur bloquant l’horizon de leur entourage, tragédie de ne pas même voir qui passe devant eux sous le grand soleil ? Pourquoi tarifer l’entrée si on ne donne pas même à tout le public payant le texte des poèmes? On tarife parce que des professeur(e)s y chantent de leur voix jadis plus vive? Absurde. Sans oublier qu’on n’avait pas assez imprimé de programmes. Plusieurs se sont retrouvés avec rien du tout en main. La poésie de la langue française est partie prenante et essentielle des oeuvres musicales dans ce contexte précis.