Le grand gagnant du concours Frédéric Chopin de l’année 1960, Maurizio Pollini, premier prince des grands pianistes encore vivants, est passé à la Maison Symphonique de Montréal pour transporter les auditeurs et mélomanes accourus faire salle comble dimanche dernier, 15 avril. À plus de 75 ans, Pollini a offert un programme impeccablement exécuté et ravissant dont le Prélude en do dièse mineur opus 45, suivi de la Barcarolle opus 60, la deuxième sonate opus 35 de Frédéric Chopin.
Il osa encore ajouter, en toute fin de récital, le troisième scherzo en premier rappel, la Berceuse de ce même compositeur en second rappel et rien de moins, en ultime rappel offert à une foule délirante en totale transe musicale, le rappel de rêve, celui inespéré de la toute fin de concert soit l’étude pianistique la plus difficile du répertoire pianistique soit celle dite Vent d’hiver opus 25, no.11 en la mineur. Je dis cela pour ne parler que du répertoire Chopin, bien sûr, un répertoire qu’il nous a joué encore magistralement, même si parfois on a senti son âge dans certains passages mieux cavalés de nos jours par les jeunes pianistes-poulains si athlétiques de la nouvelle génération de virtuoses.
L’ensemble fut surtout réalisé de mémoire impeccable, à la grande manière irréprochable des aristocrates d’autrefois! Pas une seule omission de texte et toutes les reprises dont celle rarement offerte du premier mouvement de la sonate en si bémol mineur (celle qui comporte la très célèbre Marche funèbre) . La seconde partie du programme, soit avant tous ces rappels, fut comblée par une très belle interprétation des douze tableaux musicaux du Second Livre entier des Préludes de Claude Debussy.
C’est un répertoire que jouait Arrau avec grâce et Michelangi avec froideur, un répertoire que le grand spécialiste de l’heure de l’oeuvre pianistique de Debussy, Jean-Efflam Bavouzet interprètera à la Salle Bourgie cette semaine même, soit le jeudi19 avril à 19h30. En Maurizio Pollini, ce qui a marqué tous ceux et celles qui avaient arraché voracement depuis longtemps une place si chérie à ce récital donné à guichet fermé, c’est le son toujours radieux, toujours perlé, au retentissement magnifique même dans les pianissimos, jusque tout au bout du dernier balcon, en somme, le raffinement de ce toucher pollinien émanant de son piano Fabbrini-Steinway de Hambourg, un piano harmonisé en ses voix intérieures par la maison italienne Fabbrini, piano de concert qu’il transporte tout partout dans le monde avec lui (comme jadis Horowitz transportait son propre New York Steinway).
Après toute cette effusion musicale volcanique, c’est bel et bien le vent d’hiver qui nous a accueilli de son verglas frondeur au sortir de la Maison Symphonique dès les minutes qui ont suivi ce récital réunissant le fin gratin des mélomanes montréalais qui n’auraient, pour rien au monde, raté l’occasion de ce moment inoubliable même au prix d’une tempête en haute mer à braver avec détermination les plus impétueuses bourrasques d’ouragan.