Du temps de mes ambitieux cours magistraux intitulés Cours de littérature française du XVIIIe siècle, j’aurais mieux fait de présenter (en traduction française, s’il pouvait en exister une!!!) en juste préambule, un beau cent minutes des scénettes dudit opéra de Bernstein intitulé Candide! Il existe, en effet, une version dite Chelsea (le fameux quartier de Manhattan) créée par Harold Prince en 1973 et c’est celle-là que le metteur en scène Patrick Hansen a judicieusement choisi de porter à la connaissance du public et des interprètes d’Opéra McGill, cette compagnie excellente, liée à la faculté de musique de McGill. Le spectacle en fut désopilant et présenté à Pollack Hall vendredi le 23 mars devant une autre salle archicomble.
Le Candide de Bernstein met avec humour, à portée de vue, la contradiction entre les enseignements officiels de tant de maîtres d’école de pensée, infaillibles et très connaissants, et la réalité de la société humaine confrontant leur philosophie avec fracas, cela dans toutes les langues (sens du patronyme Pangloss) du monde entier où s’enseignent ces idéalisations. On rit donc sans relâche jusqu’à en oublier le dramatique du propos voltairien bien loin d’être accessible à tous de toute façon.
En effet, Voltaire avait adopté un ton ironique, satirique et cynique du début à la fin de son conte philosophique puisque le but de sa satire réelle était de répondre au second discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité entre les hommes que son rival Jean-Jacques Rousseau avait offert en lecture à l’élite de l’Europe. Personne de cette époque-là n’avait saisi Candide et encore moins le propos révolutionnaire de Rousseau, mais, de nos jours, on peut se bidonner sur les parodies de la guerre, de la religion et de la sexualité grâce aux divertissantes scènes d’opérette dudit «opéra» de Bernstein.
Car ce qu’on appelle l’Opéra Candide de Bernstein n’est en réalité qu’une opérette, une série de scènes drolatiques ou burlesques mises en musique tout à fait folâtre ayant propos d’agrémenter façon commedia dell’arte la parodie ou la satire de la religion, de la guerre ensanglantant la Terre et le burlesque de la sexualité humaine…ce bref ou prolongé contact physique ou frottement des âmes qu’on enrobe des mots d’amour passionné… au sein du meilleur des mondes, le bonheur intégral et l’amour parfaits étant tout à fait peu possibles!
Nul besoin de dire que toute l’assemblée des mélomanes a passé une soirée agréable, divertissante à ravir, annonciatrice de l’été festivalier des Montréalais qui approche alors qu’on est encore transis de cet hiver qui n’en finit pas. Merci à toute la production d’avoir monté un décor simple et efficace, original quand même avec des forêts d’arbres en palimpsestes ou étaient écrits les mots célèbres de François-Marie Arouet dit M. de Voltaire présentant ainsi l’adage de son docteur Pangloss: Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes!
Candide ou l’optimisme était le titre de son conte philosophique voltairien. Sur le plan musical, l’opéra-opérette de Bernstein offre de grivoises chansons qui font rire aux larmes mais tout ceci est bien éloigné de la satire politique voltairienne qu’on suit en clichés brefs, avec joie, notamment grâce à l’Histoire de la Vieille qui a connu tous les malheurs possibles (y compris l’amputation d’une de ses fesses!) sans oublier les aventures licencieuses et savoureuses de Paquette, cette servante ayant appris la métaphysique de l’amour physique très tôt…sans oublier le frérot de Cunégonde qui a découvert sa belle image au miroir de sa jeunesse tenu par un bienveillant compagnon et valet de chambre ayant aidé à son dépucelage masculin. Au bout du compte, une troupe optimiste de jeunes artistes rayonnait et semblait en grande forme vocale de fin de session universitaire. Chacun peut se féliciter de cette réussite qu’un orchestre, hélas un peu trop étouffé dans la fosse exiguë de Pollack Hall, a animé mais moins élégamment ou agréablement qu’au Monument national, lieu de meilleur étalage décoratif et salle de leur dernière inoubliable production (Lucia di L. de Donizetti). En adjonction survenait, presque en coup de vent, le Dialogues des Carmélites de Poulenc, immense chef d’oeuvre dramatique majeur présenté qu’une seule fois à une heure qui me fut, hélas, inaccessible (14h00, samedi 24 mars). Un jour, c’est trop peu, car on ne donne à personne le temps de se remettre des émotions de la soirée de la veille. L’an prochain, je me mets à genoux, intégralement s’il-vous plaît? C’est majeur ce Poulenc-là et la jeunesse d’aujourd’hui doit en être instruite en des représentations nombreuses. Please!
Photo © Tam Lang Truong