La Virée Classique de l’OSM demeure un franc succès incontestable. Tant pour l’oeuvre de fraternisation des musiciens avec le grand public que la découverte instructive qu’on y fait tant des instruments symphoniques ou concertants. On y savoure toutes les facettes de la musique classique (même des entretiens et ateliers avec les grands solistes des pupitres de notre ensemble par exemple).
La Virée continuera de faire parler d’elle! Chapeau donc à ces belles activités offertes mais cela suppose aussi des solistes responsables et respectueux du contrat d’engagement qu’on leur offre pour se présenter à la hauteur des attentes que la publicité suscite. La Virée Classique nous aura offert cet été des rendements disparates parmi les têtes d’affiche, hélas. Il est, bien entendu, hors de question en 72 heures de courir pour tout voir ou entendre, c’est impossible même ce serait périlleux. Nous nous sommes contentés de deux récitals et de deux concerts symphoniques en ce qui a trait à l’appréciation de la qualité musicale des interprètes postés à la proue du navire. Tout ce qui entourait le musicien russe Vadim Repin (jadis la gloire du violon russe) fut un désarroi permanent dont je reparlerai avec compassion plus loin. Mais ce qui gravitait autour du fabuleux pianiste Herbert Schuch fut enchanteur et réjouissant.
Parlons volontiers du meilleur tout de suite soit le récital du pianiste allemand, samedi (à la Cinquième Salle de la Place des Arts sur piano Steinway de chez Bolduc): tout d’abord dans une sonate opus 13 de Beethoven remplie d’alacrité et surtout un Brahms rutilant de prouesse et d’exactitude rythmique, en plus toujours expressif en son premier livre des Variations sur un thème de Paganini, l’oeuvre la plus difficile du répertoire pianistique. L’étude La Campanella de Liszt fut jouée avec adresse, un velouté adroit, en somme un brio et une sobriété de haute classe car la primauté fut consacrée au cantabile de l’étude en freinant les étalages techniques avec une élégance manifeste dans la plus exacte fidélité au texte. Parlons surtout, quoique cela survint plus plus tard dans la même journée de samedi, du splendide troisième concerto de Beethoven avec l’OSM et un Nagano en grande forme plus que fier de sa Virée Classique – et avec raison.
Tous les meilleurs éléments de l’orchestre, nos meilleurs musiciens à chaque pupitre, étaient présents pour l’accompagnement du talentueux pianiste Herbert Schuch, homme souriant et jeune encore désormais en pleine ascension musicale parmi des centaines d’excellents rivaux auxquels s’ajoutent continûment les premiers prix méritoires des innombrables concours de musique à l’échelle de la planète. Tout le mariage avec l’ensemble fut réussi tant entre les cadences savoureuses que les sublimes dialogues entre les bois et le soliste à presque tous les mouvements. Judicieux furent les tempis adoptés au premier mouvement, aussi celui du Largo et du Rondo final.
Tout irradiait et chantait de source, comme au temps des grands avec Radu Lupu, Rudolf Serkin ou l’irremplaçable Emile Gilels entendu dans ce même concerto avec l’OSM quelques mois avant sa mort (bien trop jeune) en 1983. La Maison Symphonique n’était pas comble, hélas, à 21h, pour ce sublime moment de la Virée Classique avec Herbert Schuch, affluence impossible à égaler avec constance pendant trois jours depuis l’inoubliable Requiem de Verdi dont nous avons généreusement parlé dans nos pages.
Passons maintenant au plus sombre, car il implique une prise de conscience face à ce qui s’appelle la perte de l’enthousiasme et l’abandon, par un artiste jadis surdoué, tant de son instrument que la mise de côté du don exceptionnel que la vie et la génétique nous offrent dès les prémices de la vie. J’avais entendu le phénoménal artiste à l’âge de 12 ans puis régulièrement ensuite jusqu’à son dernier passage à Montréal. Vadim Repin a cessé de pratiquer le violon (je dirais depuis 2016) au jour le jour, comme il le faut pour maintenir la dextérité et garder en forme musicale le répertoire qu’on prétend vouloir jouer au public au sein des organisations qui paient notre cachet pour promouvoir, à son meilleur, la beauté sublime de la musique. J’ai en mémoire le grand Emile Gillels, pianiste russe de passage à Montréal entendant le violoniste Isaac Stern jouer en répétition et dire tout haut sans gêne «So Isaac Stern has stopped practicing the violin now for a long time!»
En effet, cela s’entendait clairement dans la sonorité du violon mais surtout la justesse sonore des intervalles, de chacun des passages complexes, les trilles, enfin tout. Mais ça n’a guère empêché alors Isaac Stern, devenu (longtemps après avoir quitté la patrie) le roi absolu de la musique, à Manhattan, de gérer des carrières et d’en empêcher certaines de naître ou de les freiner (celle de la volubile violoniste Ida Haendel par exemple). Le manque de justesse sonore chez Repin dans chacun des mouvements du premier concerto pour violon de Max Bruch m’a expliqué l’absence judicieuse de tant de nos meilleurs musiciens pour accompagner celui qui fut, jadis, véridiquement une gloire retentissante. Certes, il joue encore les oeuvres de mémoire mais avec toutes les approximations rarement passables.
Cela n’a pas empêché le peu exigeant public québécois de se lever et de crier hourras et bravos, comme d’habitude, car c’est un public débonnaire que celui de Montréal. Il faudrait programmer M. Repin, un même soir, en comparaison avec le violoniste Blake Pouliott ou, mieux encore, la violoniste Jin Joo Cho (gagnante du CMIM 2006) dans le même concerto, immédiatement rejoué sur scène, pour faire entendre au public ce qu’est un musicien passionné qui pratique vaillamment et un autre que l’existence a balloté hors de son paradis. Il est vrai que les événements de Russie ne portent guère à la réjouissance d’une âme slave par les temps qui courent…À son récital, à la Cinquième Salle, Vadim Repin était accompagné par Mari Kodama, une pianiste qui a eu le mérite de ne pas trop souvent s’emporter violemment devant toutes les défaillances musicales de celui qui était présenté ainsi: «Considéré par ses pairs comme l’un des plus grands violonistes actuels….l’extraordinaire Vadim Repin». Il n’y a eu d‘extraordinaire que la politesse orientale de Madame Kodama qui s’était préparée à accompagner un des jadis plus grands mais qui, faute de pratique quotidienne résolue, n’est plus l’ombre de celui qu’on vantait. L’exigence de pratiquer c’est pour tous.
Comme nous avions beaucoup parlé du jeune pianiste Carter Johnson et du violoniste Blake Pouliott nous avons choisi d’autres artistes que ces Canadiens pour nos recensions à la Virée. Choisir M.Repin fut une erreur grave commise encore la deuxième fois (le récital), délibérément, car nous voulions entendre jusqu’où la démoralisante perte de l’enthousiasme musical peut mener un artiste . Aussi, ai-je voulu entendre ce que Maria Kodama pouvait avoir réalisé avec un violoniste à ses côtés qui ne pratique manifestement plus du tout ni les oeuvres du répertoire pour récital ni les oeuvres concertantes programmées avec un grand chef et un orchestre réputé. Herbert Schuch restera donc une joie encore magnifiée par ce constat que l’art est une patience. Au monde musical actuel, demeure la question de la longévité des virtuoses.