Près de 25 ans après la parution de Dehors novembre, dernier disque des Colocs, un spectacle à mi-chemin entre la musique et le théâtre raconte, avec originalité et émotion, la création de cet album phare de la chanson québécoise. Vander qui était bassiste du groupe à cette époque, s’avère un captivant conteur d’anecdotes révélatrices de la forte personnalité d’André Fortin. De son côté, le comédien Hubert Proulx fait revivre les textes du bouillant Dédé qui sont souvent dits, plutôt que chantés, ce qui aide à les redécouvrir.
Du rire aux larmes
L’émotion était palpable, à la représentation de Dehors novembre qui s’est déroulée en présence de plusieurs membres de la famille de Dédé Fortin, hier soir (3 novembre), au Studio-Cabaret de l’Espace St-Denis.
Pince sans-rire, le belge André Vanderbiest (Vander) raconte humblement son arrivée sur la pointe des pieds chez les Colocs qui étaient alors le groupe le plus populaire du Québec.
Lors de son tout premier passage au mythique 2116 du boulevard Saint-Laurent (où Fortin habitait), impossible pour le visiteur de pénétrer dans l’immeuble ! L’homme a dû se rendre au restaurant d’en face pour informer Dédé de son arrivée. Ce dernier lui a alors lancé, depuis son balcon, la clé permettant d’ouvrir la porte d’entrée du building.
Petit à petit, Vander gagne la confiance de Fortin. Un soir de grand froid où le Belge se promène dans les rues de Montréal, il croise un sans-abri qui lui dit : «La vie c’est court, mais c’est long des p’tits boutes».
Touché par cette phrase, le musicien en fait part à Dédé qui l’intègre à sa chanson Le répondeur. Par la suite, à chaque fois que nous avons croisé cet itinérant, Dédé lui donnait toujours 20 dollars en soulignant que c’était «pour ses droits d’auteur», se rappelle Vander.
Tassez-vous de d’là !
De son côté, Hubert Proulx s’empare des textes des chansons avec ferveur et chacune devient une histoire. C’est ainsi que Belzébuth se transforme, en quelque sorte, en une courte pièce de théâtre sur l’insoumission légendaire de Dédé, alors qu’un chat fringant court sur un écran installé du côté droit de la scène. Très réussi ! D’autres projections de vidéos et de photos défilent durant pratiquement tout le spectacle, mais on ne voit pas toujours clairement ce qui est projeté.
Intense, le comédien traduit en gestes le tumulte des chansons, entre autres, en arpentant frénétiquement la scène de gauche à droite. Il semble ainsi faire siens les mots de la chanson Tassez-vous de d’là ! Proulx se glisse dans l’esprit de Dédé, à moins que ce ne soit l’inverse…
Un tandem unique
Proulx et Vander forment un tandem inattendu qui réussit à nous emmener dans l’univers des Colocs. Aussi, ils jouent respectivement de la guitare et de la basse. De plus, on ne peut que vanter l’excellent travail du multi-instrumentiste Jean-Denis Levasseur et du batteur Jean-Sébastien Nicol.
La mise en scène est signée par la comédienne Marilyn Bastien et Vander. Le dosage entre le musical et le théâtral donne lieu à un spectacle rythmé où la petite histoire rejoint la grande, à travers l’odyssée d’un être passionné et torturé qui ne reculait devant rien.
Pis si ô moins
À ce sujet, Vander raconte qu’après la sortie de l’album Dehors novembre, Fortin réalise qu’il a fait une erreur dans la chanson Pis si ô moins où il prononce «kalishnikov», alors que le véritable mot est kalachnikov. Il veut réenregistrer ce mot et il exige qu’on réimprime la pochette, une fois la correction faite. Il insiste inlassablement ! Son gérant estomaqué par cette demande et les coûts qu’elle représente finira par accepter.
Jusqu’au bout
Le bassiste s’est souvent retrouvé seul avec Dédé durant la période de création de l’album, dans un chalet de Saint-Étienne de Bolton, en 1996.
C’était deux ans après la mort de Patrick Esposito di Napoli, harmoniciste des Colocs emporté par le SIDA.
Fortin avait composé une chanson à la mémoire du disparu et il n’était pas satisfait de l’enregistrement de sa voix.
Mais, comment interpréter des paroles aussi douloureuses : «Dehors novembre, je suis couché sur mon grand lit … J’attends un peu, chu pas pressé, j’attends la mort» ?
Jusqu’au-boutiste, Fortin s’est finalement placé dans la position du narrateur, raconte Vander. «On a donc installé un micro au-dessus de son lit; on a fermé la porte de sa chambre et il a pu enregistrer cette chanson couché dans le noir.»
La comète
La soirée se termine avec La comète. C’est probablement la dernière chanson de Dédé, selon Vanderbiest qui a retrouvé cet enregistrement en faisant du ménage dans ses cassettes, quelques années après la mort de son ami qui s’est suicidé en l’an 2 000. «Épuisé que je suis, je remets à plus tard Le jour de mon départ pour une autre planète» Avec ces paroles prémonitoires, Proulx et Vander amènent le public à un sommet d’émotion.
Loin d’être une enfilade de chansons ou une imitation des Colocs, cette production unique repose sur la mémoire bien vivante de Vander et le savoir-faire théâtral d’Hubert Proulx. Le spectacle Dehors novembre est une perle rare ! À ne pas manquer !
Dehors novembre, en tournée au Québec / Détails
*Photos de Vander et Hubert Proulx / Crédit : Pourquoi Scène.