La compagnie théâtrale Pleurer Dan Douche nettoie les scories de l’histoire avec Moi, Jeanne. Avoir le culot de peler à chair vive un(e) écorché(e) futur(e) brûlé(e) c’est incandescent! Fabriquer de la sorte du « héros-in » à partir de l’héroïne, c’est de l’hallucinante dissection in vivo!
Où va le fil de cette pièce à peine provocatrice?
Une mise en abyme historique nous reporte au moment le plus critique de la Guerre de Cent Ans, il y a huit cents ans. Avis aux passionnés de sens philosophiques, philologiques, historiques et politiques dont la pièce foisonne: une relecture rafraîchissant votre perception de la silhouette des personnages monarchiques, ecclésiastiques de cette époque fiévreuse vous aidera à mieux savourer la richesse de cette pièce follement divertissante, en tout cas pour ses audaces qui font toujours au moins sourire.
Exactitude des personnages selon les faits établis
Il n’y a pas de déformation des événements historiques. Là où on innovera sera dans la manière de décaper la lecture de la psychologie de ceux qui sont investis du Pouvoir sinon ceux et celles qui gravitent autour de lui. Ainsi, pendant la Guerre de Cent Ans, une Pucelle (vierge) prénommée Jeanne s’imprègne de la puissance compatissante de sa foi grandissante. Son Dieu la rassure (en paroles entendues) sur son identité et la guide vers l’expulsion des Anglais du territoire assiégé des villes de France toutes affamées quoique fortifiées.
Deux parties distinctes avec entracte
Après un préambule où Jeanne vient séduire et taquiner le public avant le lever du rideau, la première partie de la pièce campe l’allure de la Royale débandade. Cette pièce mime l’épopée tant par ses costumes rocambolesques que par tout le burlesque des réactions fort modernes de la Cour de France au bord de l’effondrement nerveux tant féminin que masculin (à la Almodovar mais vêtu(e)s comme les étoiles du Cabaret de Mado Lamothe!).
Il n’y a pourtant pas de réel travestissement: il y a vol et viol des codes vestimentaires associés aux genres (en vision dite aujourd’hui « binaire »!) habituels. Cette excentricité séduit et dédramatise au possible le tragique sacrificiel du thème de la Chute imminente et les horreurs de la guerre fratricide qu’Anglais et Français d’alors se livrent. Même dans une Troie tri-millénaire, bien avant le lieu de cette pièce, existait un discours de Cassandre qui campait l’hystérie identique à celle s’étant emparée de la Cour de France.
La fausseté de l’épouvantail woke brandi par les médias
L’infime place que prend un détail de questionnement sur l’identité de genre a fait fausser l’image donnée à la pièce et c’est dommage, car en plein vendredi soir, 48 heures après la Première, on découvre que le tiers de la salle était vide d’invendus.
Cette pièce est, à mon modeste avis, un chef-d’œuvre de burlesque et elle mériterait des salles combles, des reprises voire même (pour faire rire les engoncés de la rébarbative Province) une tournée! En effet, on affirme avec culot que la Pucelle s’était sentie au fond un tantinet plus puceau ou Innommable et que le Pouvoir la sacrifierait injustement sur la base de sa mensongère féminité. Jeanne refusera pourtant maintes fois la camisole de force générique en dépit des traîtrises la menaçant de toutes parts.
Jean(ne) d’Arc(he) se libère de sa camisole de force
Il n’y a aucun moyen de vérifier factuellement ce plaidoyer de conscience de soi, d’être en contact permanent ou enracinant avec son vrai corps, essentiellement en prière exaltée. Tous les autres faits historiques relatés en actions scéniques amusantes (non pas narrées, erreur catastrophique au théâtre) de la seconde partie de la pièce sont avérés.
Son procès ecclésiastique – où l’Évêque Cauchon est même nommé de même que les autres accusateurs et calomniateurs masculins – tout ça est de pure véracité historique. Elle était un il ou était-yielle un(e) neutre? Factices détails à mon avis, voilà les petits questionnements latéraux qui ne m’inquiètent pas. Pourtant la pièce sème des pistes de réflexions remarquables, même si les dialogues sont en bon québécois populaire, genre La Petite-Vie! La traductrice a fait un remarquable travail d’adaptation langagière sur la pièce de Charlie Joséphine.
Un humour désopilant, une énergie explosive
Satire, ironie, parodie, danses de bacchanales toutes triomphent sur le mode de la farce quasi moliéresque en parler québécois, certes. Après l’entracte, la seconde partie devient réflexion politique, philosophique, religieuse aussi, bien entendu, vu l’hérésie déclarée. Si on s’arrête à chaque provocation sans rire, on manque d’humour incendiaire, car il y a ici un jeu de pyromanie. Le tragique serait d’y donner crédit.
Des acteurs excellents rugissant de danses entraînantes
Jeanne d’Arc est incarnée par l’audacieuse Geneviève Labelle et Thomas est le rôle de soutien le plus intéressant à mon avis, car l’excellent Gabriel Favreau incarne l’amant fidèle du roi dit fou ou débile Charles VII, un genre de Charlène sept.
Ces personnages irradient d’une belle inspiration en illusoire démence sur scène stroboscopique aveuglante. Jeanne magnétisera, dès l’amorce du spectacle, le public, comme un miroir anamorphique d’une créature d’Avant-Garde. De même resplendira toute la pièce, l’image intériorisée de Thomas qui se cherche une démarche psychologique amoureuse autour du sceptre royal.
Gai(e)-ment, follement, tordant, le roi-Queer Charles VII est joué par Gabriel Szabo avec un humour surprenant, car rappelons que ce roi fut de la dynastie d’un pauvre d’esprit et peut-être, lui, était-il vraiment une fille qui s’ignorait, car la pièce ne lui rend pas la politesse qu’on fait à la favorite de l’Histoire officielle, cette importune Jeanne, de questionner, lui aussi, son genre de royale femmelette opportuniste.
Rien de moins qu’un chef-d’œuvre de pur divertissement
Toutes les opinions d’une génération à l’humour déjanté reconnaissant que le crystal-meth est capable de transporter la vision de toute personne ailleurs, loin de notre « au-jour-d’hui » (soit le hic et nunc du quatorzième siècle), sont légitimes à exprimer. Je ne perçois dans cette pièce aucun sujet à scandale.
Au contraire, on y parle judicieusement de guerre via la « guerre-hier ». En contrepartie, égorger sur la place publique tout opposant à cette forme théâtrale Queer empirera le triste pays des invectives qu’est devenu le Québec. Rire est finalement la seule solution au projet d’imposer une vision radicalement inquisitrice de l’identité.
Alors quelle était l’identité de Jean(ne) d’Arc(he) entendant des voix ?
Les convaincus de savoir la réponse sont rois au pays des aveugles et des borgnes. Et la consternation admirable du public à écouter calmement, en riant, en souriant, ce courageux plaidoyer putatif mais théâtral est tout autant louable. Y a vraiment pas de quoi pleurer dan’ douche! Je présente mes excuses à tous ces comédien(ne)s à l’œuvre qui excellent en particulier puisque je n’ai pas l’espace, ici, pour les distinguer ni ne saurais-je adroitement les identifier puisque beaucoup jouent de multiples rôles passagers ou évanescents.
Détails ici : MOI JEANNE, Co-production de Pleurer Dan’ Douche et Espace GO
Pièce de Charlie Joséphine traduite par Sarah Berthiaume avec
Lé Aubin, Alexandre Bergeron, Maryline Chery, Nathalie Claude, Laura Côté-Bilodeau, Lyraël Dauphin, Gabriel Favreau, Geneviève Labelle, Anna Moulounda, Tova Roy, Gabriel Szabo et Phara Thibault