Le médaillé d’or du dernier Concours Chopin, édition 2015, le Coréen Seong-Jin Cho, ancien élève du pianiste français Michel Béroff a séduit les mélomanes du Festival de Lanaudière, vendredi soir le 26 juillet, avec une interprétation radieuse du quatrième concerto pour piano et orchestre de Ludwig van Beethoven.
Devant un parterre rempli à capacité par-delà les pelouses de l’Amphithéâtre en plein air baptisé jadis Fernand Lindsay, l’artiste Seong-Jin Cho en apparaissant sur scène dans sa charmante veste estivale noire a captivé les regards par son élégance naturelle. Ensuite il a magnétisé l’auditoire par l’adroite entrée en matière appropriée à ce concerto, soit un toucher doté d’une suave mais solide sonorité d’immense intensité. Le thème initial énoncé par ses doigts et qui s’est envolé vers les frémissantes forêts avoisinantes s’est imposé pour entamer une symbiose absolument parfaite avec l’Orchestre Métropolitain. Puis, en ce si beau concerto dont la cadence du premier mouvement écrite aussi entièrement par Beethoven nous déchire le coeur chaque fois que nous l’entendons jouée ainsi, nous avons perçu l’oeil et le regard admiratifs de Yannick Nézet-Séguin ému de la poésie éternelle de l’oeuvre sous les doigts de son jeune invité.
La dextérité de Seong-Jin Cho suscite vraiment la plus profonde l’émotion : tel qu’il se présente à nous, il rappelle les plus grands interprètes auxquels le jeune Coréen appartient incontestablement (comme autrefois Kun Woo-Paik). Le rendement artistique atteint m’a tout à fait rappelé la venue encore mémorable parce que récente de Radu Lupu avec l’OSM il y a une douzaine d’années tout au plus. En somme, une interprétation de ce calibre aristocratique, bien souvent ré-entendue au sein des grandes versions inoubliables et immortalisées sur disque avec les Géza Anda ou Claudio Arrau ou Wilhem Backhaus.
En rappel, pour nous faire plaisir à bon escient, après la réception délirante du concerto entier rendu brillamment aussi par l’orchestre, le chef s’étant délibérément assis sur son podium pour se recueillir de l’encore -pose admirative disons-le- face à son jeune soliste invité, cette jeune étoile de notre firmament pianistique nous a joué l’intermezzo opus 118 no.2 de Johannes Brahms dont la section centrale est si bouleversante, une pièce substantielle qui offre tout autant la mélancolie de l’époque que la stoïque introspection du vieux compositeur allemand esseulé parvenu au terme de son existence à Vienne. Les 5 autres intermezzis de l’avant-dernier ensemble de telles courtes pièces pour piano de Brahms auraient pu nous être ajoutées et jouées si divinement au zénith de la perfection que personne n’aurait protesté! Nous avons aussi eu droit -après celle inaugurant la présentation du début de soirée par la riche voix chevrotante du directeur du festival Renaud Loranger- à quelques mots d’hommage de Yannick Nézet-Séguin en mémoire des dix ans du décès du mélomane et ex-directeur Fernand Lindsay. Également, Nézet-Séguin cherchait à nous rappeler la grandeur de la septième symphonie de Bruckner au programme projetée en offrande au-delà des Cieux pour ce mélomane outrepassé qui fut pionnier musical comme le fut Pierre Béique.
Cette oeuvre orchestrale commandait renforts en des effectifs de cuivres et du quatuor à cordes fort augmentés (donc bien plus qu’au grand complet), forces additionnelles absolument nécessaires à l’‘interprétation de l’oeuvre entendue maintes fois mais surtout jadis le soir de son enregistrement public en 2007 (le disque dit 2006 et me corrige…comme si ma mémoire me faisait défaut) en l’Église du Très-saint-Nom-de-Jésus en ses suaves décors rosés de la rue Adam dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. Nézet-Séguin était alors à ses débuts…Comme le temps passe vite et combien nous sommes choyés d’avoir de tels musiciens charismatiques chez nous tissant des liens d’amitiés poussant des artistes comme Seong-Jin Cho, pourtant arrivé au terne de sa tournée nord-américaine, à s’arrêter quelques heures près de nous. La foule du festival a écouté avec recueillement chacun des mouvements de la symphonie de Bruckner sans applaudissements inconvenants comme si elle la connaissait par coeur cette oeuvre.
On en vient à se demander si ce disque de 2007, parmi les tout premiers enregistrements glorieux de l’Orchestre Métropolitain, ne la lui avait justement pas fait connaître. Ainsi s’en fut un public fidèle mais âgé parmi lesquels de nombreux jeunes Coréens habitant chez nous s’étant retrouvés admiratifs de la musique qui se fait ici avec un de leurs compatriotes. Ainsi, de nos jours, écoute-t-on Bruckner avec une ferveur presque religieuse: le concert devient-il parmi nous le dernier refuge peut-être de notre culture occidentale en mal de repères et de repaires? Tant mieux si c’est le cas.