Jusqu’au 16 juin prochain, la Troupe de Théâtre de Côte-St-Luc présente le grand succès de Broadway «Cabaret» écrit par Joe Masteroff (livret) et des chansons géniales par John Kander et Fred Ebb. Même si cette production est fidèle à l’original, le sujet est aussi actuel que lors de sa création il y a plus de cinquante ans. On s’amuse et on rit mais on ressent le malaise et le désespoir quand arrive l’inévitable historique des nazis dans l’histoire. C’est pourquoi «Cabaret» est une oeuvre sérieuse, intense et difficile à monter, mais cette troupe non-professionnelle réussit son pari grâce à ses jeunes interprètes de talent, un orchestre impeccable et de belles chorégraphies. Plusieurs productions de «Cabaret» ont gagné des prix, dont l’original sur Broadway en 1966 avec 8 Tony Awards et le film en 1972 mettant en vedette Liza Minelli avec 8 Oscars.
L’histoire se déroule dans le Berlin des années 1930 au début du Troisième Reich nazi. Le Kit Kat Klub est un cabaret décadent mené par un maître de cérémonie débauché autant avec ses danseuses que ses danseurs. Une des danseuses, Sally, attire l’attention d’un jeune auteur américain, Clifford, qui arrive en ville. Dans le train, Clifford fait la rencontre de l’allemand Ernst qui lui recommande une maison de chambre, tenue par Fräulein Schneider. Cette dernière tombe amoureuse de Herr Schultz qui est de descendance juive. Fräulein Schneider se voit obliger de mettre un terme à sa relation avec Herr Schultz à cause de la montée nazie. Ce qui semblait être une histoire drôle devient alors dramatique et sombre.

Dès les premières notes du «Wilkommen», on est charmé par le numéro d’ouverture du maître de cérémonie (Emcee) avec ses girls et ses boys. Tout en humour, il nous les présente dans une chorégraphie simple mais efficace. Tout au long des 2h25 du spectacle (avec entracte), on assiste impuissant à l’évolution du Emcee éclatée au début jusqu’au supplice final des derniers instants. La longue première partie comporte heureusement plusieurs bons numéros connus divertissants, avec des textes et des chansons tout aussi humoristiques les unes que les autres. La chanson «Money» est particulièrement réussie et énergique visuellement par sa chorégraphie. Puis le vent tourne quand l’antisémitisme prend le dessus des intrigues au second acte. La mise en scène est fidèle à l’oeuvre tout en réalisant un bon équilibre entre le divertissement et le côté dramatique de l’histoire.
Dans le rôle principal, Craig Dalley est brillant en Emcee : il danse et chante avec énergie. Il est expressif dans son jeu et il nous transporte dans son univers à partir du numéro d’ouverture jusqu’à sa fin poignante. Son humour osé et satirique fait mouche à chaque réplique. Il excelle dans chacune de ses chansons en nous faisant rire comme dans «Two Ladies» mais il est aussi touchant dans «I don’t care much». Il est la flamme qui allume le spectacle.

Jeanne Motulsky est séduisante avec un brin d’excentricité dans le rôle de Sally. Elle a du rythme et de l’émotion dans son jeu. Sa belle voix puissante et juste impressionne dans toutes ses chansons, particulièrement dans «Cabaret» où elle brille avec son belting (voix de poitrine). Elle chante avec un naturel déconcertant, en ajoutant un vibrato juste aux bons endroits. Elle est intense dans «Mein Herr» et émouvante dans «Maybe This Time» par ses nuances et sa puissance vocale.
Calder Levine dans le rôle de l’auteur Cliff est un acteur convaincant. On croit vraiment à son idylle avec Sally. Il a une bonne voix et sait raconter son histoire en chantant aussi. Linda Babins en Fraulein Schneider a une belle voix mature et juste quand elle chante mais on sent son manque d’assurance quand elle joue. Pourtant elle a tout le potentiel pour être à la hauteur du personnage. Celui qui joue son amoureux, John Kovac (Herr Schultz), compense avec son jeu irréprochable. Il a une belle voix mature mais a de la difficulté à monter dans les aigus. Tous les deux sont délicieux dans «It couldn’t Please Me More» et «Married».

Le reste de la distribution apporte de beaux moments, comme Fraulein Kost (Maria Jimenez) et ses matelots, ou la bande du Kit Kat Klub. La roue d’engrenage qui fait tourner tout ce spectacle est sans contredit l’excellent orchestre de six musiciens sous la direction de Benjamin Kwong. Ils jouent avec aplomb mais surtout en nuance pour donner une balance parfaite entre les chanteurs et la musique. Même si le spectacle se termine sur une tragédie, les producteurs ont invité une exposition historique sur des héros qui ont sauvé plusieurs juifs de l’holocauste, question de ramener du positif à la soirée
Même si la plupart ne sont pas professionnels, la performance des rôles principaux et les numéros musicaux sont autant de raison d’aller voir ce spectacle. Il y a une section VIP en format cabaret avec des tables à l’avant (collation et rafraichissement inclus), mais certaines chaises sont trop collés aux table. La salle n’est pas grande alors on voit bien de partout. Je recommande ce spectacle à ceux qui aiment les comédies musicales et les bons numéros musicaux, tout en explorant une partie sombre de l’histoire.
Les bons coups: numéros musicaux, chansons connues, chanteurs principaux, orchestre, chorégraphie
Les moins bons coups: jeu inégal, petite scène

Équipe de création
Producteurs: Mitchell Brownstein et Mitch Kujavsky
Mise en scène: Anisa Cameron
Direction musicale: Benjamin Kwong
Choréographies: Alexia Gourd
Costumes: Elyse Malo
Éclairages: Linda Babins
Décors: Sabrina Miller
Direction technique: Scott Drysdale
Distribution
Jeanne Motulsky (Sally), Craig Dalley (Emcee), Calder Levine (Cliff), Ed Le Vasseur (Ernst), Linda Babins (Fraulein Schneider), John Kovac (Herr Schultz), Maria Jimenez (Fraulein Kost), Genevieve Pertugia, Marina Mendoza, Gabrielle Banville, Isabelle Rachiele, Ari Sterlin, Kaylah Langburt, TY Jung, Natasha Lilliman, Jonah Zoldan, Ryan Kligman, Shaun Nishmas (Max), Ryan Hill.
Orchestre
Benjamin Kwong, Noah Century, Frédéric Bourgeault, Luke Gossage-Bleho, Caleb Smith, Elijah Baker, Samuel-San Vachon.
Présenté en anglais au Harold Greenspoon Auditorium (5801 boul. Cavendish, Montréal) du 29 mai au 16 juin 2019.
Billets (35$/28$ âge d’or et étudiants/45$ VIP) disponibles sur http://www.CSLDramaticSociety.com ou au centre communautaire et bibliothèque de Côte-St-Luc.
Photos: Ian Cameron