L’impossible critique de Me déshabiller n’a jamais été une tâche facile, de Jean Basile
Il faut non seulement la plume de Robert Lévesque, journaliste et critique d’art mais la proximité de celui-ci avec l’univers de Jean Basile, écrivain et journaliste au Devoir, décédé en 1992, pour se livrer à l’étude, la compréhension ou la critique du roman inachevé de Jean Basile, Me déshabiller n’a jamais été une tâche facile.
Lévesque a eu la patience de lire les 780 pages de ce roman, écrit en 1984, abandonné trois ans plus tard qui devait initialement s’étendre sur 3000 pages. L’œuvre devait être gigantesque et Lévesque en fera l’éloge et portera cette cathédrale de la littérature maudite en triomphe, la couronnera comme tous les bons et mauvais génies de l’art.
Je m’en abstiendrai. Je n’ai pas la patience de supporter tous les caprices de l’auteur, toutes les digressions, les déviations et le contentement de celui-ci qui se regarde écrire et commente en glissant dans son histoire inventée ou pas, qu’importe, ses propres commentaires à propos du chapitre qu’il écrit et de son lien avec le lecteur. « Que dirais-je de plus qui soit d’une utilité quelconque à un éventuel lecteur », écrit-il quelque part dans son livre.
La critique m’est tout d’abord impossible parce que l’œuvre n’a jamais été menée à terme. C’est une ébauche … de 780 pages. C’est du Proust mais du Proust allongé. Rien de moins. J’ai lu plusieurs pages qui ne contenaient que deux ou trois phrases en limitant la ponctuation aux virgules. La présentation des personnages par exemple, s’étale sur 120 pages et il n’y en a que quatre.
Mais de quoi cette fresque retourne-t-elle me demanderez-vous? Il faut croire que la lenteur et la langueur du propos, ça s’attrape. Il s’agit donc des souvenirs parfois nébuleux d’un écrivain d’un certain âge qui retrace l’évolution de quatre jeunes hommes homosexuels, à la fin des années 50, en 1957 plus exactement, en pleine noirceur sous l’emprise du premier ministre Duplessis et du clergé. On ne saura jamais finalement qui mangeait dans la main de l’autre.
Toute l’action se passe dans le ghetto de l’Université McGill. À Montréal, ce village d’inculte où la culture britannique et allemande, nous démarque des sauvages du nord, ais-je compris. Disons qu’on ne pensait même pas à voir l’Université du Québec voir le jour à cette époque.
C’est donc dans les salons de l’ouest de la ville que nous assistons à la courtisanerie vécue ou provoquée par ces fils de bonne famille. Des dandys qui boivent du brandy et qui étirent leurs fantasmes et leurs tentatives de séduction pendant des mois, des années et une centaine de pages pour en arriver à un dépucelage qui n’apaisera pas complètement le lecteur. Parce qu’il faut ménager les munitions, j’imagine.
Dans toute cette quête du plaisir cependant, l’auteur cite les véritables intentions de ses personnages et défend même la véritable motivation des homosexuels des années 50.
« Pour moi, et dans le sens le plus strict du terme, la norme est et reste l’hétérosexualité, écrit Basile. C’est d’elle que dépend l’avenir des peuples, c’est elle que les arts ont surtout chantée, généralement dans un péan du corps féminin comme une vision du paradis perdu… Le lecteur a compris que j’aime à voir dans l’homosexualité, une « anormalité ». C’est en ce sens qu’elle m’intéresse, qu’elle touche à la perversité, à la poésie indicible et aux moyens de pression de la collectivité qui n’accepte que la ressemblance ».
En somme l’homosexualité dans les années 50 se vit dans la clandestinité et « jouit » de l’interdit. Pas question comme c’est le cas aujourd’hui de mariages gays ou d’être intégré dans la société. La clandestinité était la règle à cette époque de grande noirceur.
Me déshabiller n’a jamais été une tâche facile, de Jean Basile, roman de 780 pages publié aux Éditions Fides, au quatrième trimestre de 2016.