Il est 20 h et des poussières à la salle Wilfrid-Pelletier. La lumière s’éteint, les cris jaillissent, et Montréal retient son souffle. Sur l’écran, des images d’archives défilent : un Roch Voisine juvénile, adulé, en parallèle avec le visage serein de l’homme qu’il est aujourd’hui. Puis, surgissant dans un manteau de cuir noir, t-shirt, bottes et pantalon assortis — le look du rocker accompli — Roch entre en scène, triomphant. Et d’un coup, les années s’effacent.
Hier soir, pour un soir seulement, l’auteur-compositeur-interprète a fait frémir la Place des Arts avec son spectacle Hélène 35. Un retour attendu, puisqu’il avait lancé cette tournée dans la même salle en octobre 2024, avant de sillonner les routes du Québec, certes mais aussi de France, de Suisse et de Belgique. Le public montréalais, fidèle et enthousiaste, ne l’a pas oublié. De la mezzanine au parterre, la salle était pleine à craquer, et le cœur de la foule battait à l’unisson.
Dès le medley d’ouverture, on savait que ce serait une soirée mémorable. Roch Voisine, 62 ans, n’a rien perdu de sa présence magnétique. Il n’a plus besoin de courir partout pour captiver : sa voix, sa prestance, et ce regard complice suffisent. Et il est bien entouré. Cinq musiciens de haut vol, dont les excellents Jeff Smallwood, Jean-Sébastien Baciu et Jason Lang, deux choristes puissantes — Dawn Cumberbatch et Mariève Proulx — et à la batterie, la phénoménale Emmanuelle Caplette.
Le spectacle, sans entracte, a filé comme une déclaration d’amour au public. Vingt-sept chansons, soigneusement choisies parmi plus de 250 écrites au fil de sa carrière. Roch se fait généreux, reconnaissant : « J’ai appris l’importance de travailler en équipe », confie-t-il. Et cette équipe-là fonctionne à merveille.
Des moments de grande émotion ponctuent la soirée. Tant pis, Deliver Me / Délivre-moi, Avant de partir, Darlin’, Et je t’aime encore — cette dernière, rendue célèbre par Céline Dion, est interprétée avec une tendresse sincère : « Une chanson que j’aurais aimé écrire », admet-il. À plusieurs reprises, il chante les yeux fermés, comme s’il entrait en lui-même pour mieux partager avec nous.
Les arrangements musicaux, parfois repensés, ajoutent une profondeur inattendue. Le piano de Gabriel Bertrand-Gagnon donne à Pourtant une douceur poignante. Le jeu de lumières, soigné, et les projections en fond de scène renforcent l’atmosphère. Le passé devient presque tactile.
Et puis, il y a ce moment suspendu : sur une extension de scène, Roch s’installe avec ses musiciens pour un segment acoustique, façon unplugged. L’ambiance devient intime, presque familiale. Le public est tout près, suspendu à ses lèvres, et lui, serein, partage ses chansons comme on partage des souvenirs autour d’un feu de camp.
Le rappel est à la hauteur du reste : un solo décoiffant d’Emmanuelle Caplette sur une mini-scène centrale met le feu aux poudres. Puis Roch revient, guitare en main, pour livrer Hélène, en version douce, puis dans une relecture rock-pop qui soulève la salle.
Roch Voisine n’est pas un artiste figé dans la nostalgie : il transforme ses classiques sans les trahir, et son lien avec le public reste vivant, vibrant. Il est le témoin d’une époque, oui, mais aussi un artiste toujours pertinent, encore inspirant. Et Hélène 35 n’est pas qu’un spectacle anniversaire. C’est une célébration du lien invisible entre un chanteur et ceux qui, depuis 1989, n’ont jamais cessé de l’écouter.
© Photo : Karl André- 18 avril 2025
Billets et information : rochvoisine.com