L’ARGENTINE est ce lointain pays isolé, peuplé de quarante millions d’habitants, vers lequel ont jadis vogué des millions de déshérités d’Italie et d’Europe de l’Est afin d’y reconstruire leur vie. Ce fut bien après la période de colonisation espagnole achevée en 1812 avec la Revolucion de Mayo d’où le nom de la célèbre avenue transperçant de ses sublimes architectures la vaste capitale appelée Buenos Aires.
L’art de construire
Les millions d’immigrants y cherchaient cet ailleurs des rêveurs Européens qui finirent par y reconstruire, ici et là, le visage architectonique des façades de Paris, de Rome surtout en mille églises du néo-baroque et du néo-classicisme apparenté à celui de l’Église parisienne de La Madeleine, aussi les allures des habitations de Palerme, enfin toutes les apparences de civilisation de ce qui sustente l’intelligence du quotidien de toute vie bien imaginée.
Promenade parmi les grands noms du piano
Au pays de Jorge Luis Borgès, Ernesto Sabato et de Julio Cortazar pour ne nommer que ces trésors nationaux qui écrivirent, l’opéra du Teatro Colon et une grande école de piano (celle du pédagogue et Italien Vincenzo Scaramuzza) ont été florissants: l’Argentine c’est encore le pays de l’autrefois inégalable Martha Argerich (première épouse et grande amie encore du montréalais Charles Dutoit), mais aussi des immensément grands Bruno Leonardo Gelber (son Brahms et Beethoven légendaires!), le bien connu Daniel Barenboim et l’insoupçonné Eduardo Delgado. Ces quelques grands noms de culture musicale édifiante, à la hauteur du défunt Claudio Arrau, offraient encore jusqu’à tout récemment les prestations enivrantes des oeuvres majeures du grand répertoire.
Fuite et extases
Je dois avouer que ces trois hivers derniers passés au bout du monde à fuir le fracas des rapports tordus de ces guerres meurtrières s’ajoutant aux menaces de confinement étranger à ma nature de promeneur solitaire, que l’Argentine m’a rasséréné d’émerveillement en dépit des fous -en liberté permise- munis de tronçonneuses juchés sur ces lamentables podiums ou estrades du pouvoir.
La culture, hautement magnifique, me permit mon évasion en toutes provinces et villes de ce pays jusqu’à la Terre de feu.
Teatros Colon, Cervantès, Circulo et Kirchner
Dix-sept mois cumulatifs de séjours bien ancrés à Cordoba, Mendoza, Rosario, Salta, Tucuman, Bariloche, Salta et Buenos Aires, bien entendu, sans oublier les régions des chutes d’Iguazu, les Missions jésuites d’autrefois, puis Ushuaïa et les Malouines, mes battements d’ailes d’oiseau en liberté m’ont exalté d’une beauté des paysages à la hauteur de ces tangos d’unisson chantant la joie de vivre argentine.
En dépit de l’étranglement inflationiste fomenté par les affamées élites financières d’un vaillant peuple travaillant six jours d’affilée (27 jours mensuels de travail sur 31) pour en moyenne 500 dollars américains mensuels, oui-oui…vous lisez bien, le pays bat la chamade du courage audacieux à surmonter ces mensonges adroits de la classe politique par un indéracinable amour de la musique et de la danse.
Eduardo Delgado, Rosarino
Au très beau théatre Circulo de l’élégantissime ville de Rosario, construit à l’italienne avec ses loges tel l’ancien Théâtre Fenice de Venise, une acoustique phénoménale nous émerveille tellement que le grand chanteur Enrico Caruso la qualifiait jadis de supérieure à celle de La Scala de Milan.
Fin mars 2025, j’y ai entendu l’inspirant récital de haute adresse et poésie du pianiste argentin Eduardo Delgado.
Un cantabile primordial tout partout, une virtuosité ménagée de retenue loin de l’épate locomotive, mais plutôt l’agencement lyrique d’une main gauche d’une fine dextérité toute en nuances qui le place au sommet de son art.
Richesses musicales gratuites
Dans un pays leurré de mythomanie libertarienne alors que les prix sont sept à dix fois plus élevés qu’en novembre 2022 (les salaires ont seulement doublé sans jamais contrebalancer les dévaluations ce qui assassine la stupide idée que la Liberté avance…alors qu’elle recule nettement, on ne rencontre plus les fins de mois) et souvent tout prux est devenu le double ou le triple des nôtres (en pharmacies, les appareils domestiques dont les outils de gastronomie), le Centre culturel Kirchner rebaptisé de force Palacio Libertad par les forcénés du nouveau pouvoir (déjà en déliquescence 18 mois plus tard), ce centre offre le baume de l’Orchestre national gratuitement pour tout le public chaque semaine.
Pourrait-on imaginer l’OSM s’offrant gratis à son public toute l’année ? La salle ici se remplit toujours et les Argentins adorent non seulement les compositions nouvelles mais aussi le répertoire traditionnel joué dans le monde entier.
Bien entendu, les solistes invités sont locaux et ne ravissent pas les cachets faramineux des étoiles de la musique. Ça s’entend nettement mais c’est acceptable comme résultat musical, disons du niveau de nos orchestres des conservatoires, de celui de nos facultés de musique ou de l’Orchestre des Jeunes du fabuleux Louis Lavigueur qui guide si magistralement notre talentueuse jeunesse musicale québécoise.